Pourquoi avez eu envie d’écrire ce documentaire sur les orphelins ?
Elisabeth Bost : Quand le père de Jean est décédé, je me suis posée beaucoup de questions et inquiétée pour l’avenir de Jean. Comment allait-il réussir à se construire autour d’un absent ? Je n’avais qu’un objectif : l’aider à devenir un adulte serein et fort. Avec ce documentaire, j’ai eu envie de mettre en lumière ces enfants orphelins dont on ne parle jamais et dont la société se soucie peu : ils sont pourtant 500 000 en France, soit un enfant par classe. Plus on leur donnera la parole, moins ils se sentiront différents ! Leur consacrer ce film est une façon de les aider à sortir de ce sentiment d’exclusion.
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Vous avez interrogé de nombreux parents qui ont perdu leur conjoint et qui élèvent leurs enfants seuls. Comment accompagnent-ils leurs enfants dans cette enfance singulière ?
Elisabeth Bost : Tous les parents que j’ai rencontrés parlent beaucoup de l’être disparu. Ce n’est pas un sujet tabou et ils font en sorte de l’aborder sans solennité ni tristesse. Ils essaient de trouver le bon curseur : aider l’enfant à se souvenir, à inscrire le père ou la mère décédés dans son existence sans que cela lui pèse ou ravive sa blessure. Trouver cet équilibre n’est pas toujours évident.
La peur d’être différent pousse t-il des enfants à taire la perte d’un de leur parent et à vivre cette réalité dans le secret ?
Elisabeth Bost : Paradoxalement, ces enfants orphelins ne veulent pas parler de la perte de leur parent mais ils veulent que ça se sache. Ce qui est dur pour eux, c’est quand on met leur parole en doute, ce qui arrive souvent. Une petite fille le raconte dans le documentaire : elle a beau avoir déjà dit à ses copines que sa ma maman était morte, elles entend encore souvent : « Ah bon, ta mère est morte ? » L’entourage a tellement de mal à entendre et à accepter ce drame qu’il choisit le déni.
Que pensez vous de la prise en charge des enfants orphelins en France ?
Elisabeth Bost : Notre société ne propose aucune prise en charge pour ces enfants orphelins ! Trois enseignants sur quatre disent avoir eu en classe un enfant orphelin et huit sur dix souhaiterait être formé à leur prise en charge. A l’heure actuelle, les profs n’ont aucun outil et ne bénéficient d’aucune formation pour savoir quelle attitude adopter avec ces enfants. Pourtant, suite à ce drame les enfants retournent très vite à l’école, parfois même le lendemain. Il est temps de former les enseignants à ces cas pas si particuliers. Chloé, 21 ans, le raconte très bien. A 16 ans et demi, quand sa maman s’est suicidée, c’est elle qui est allée voir les profs un par un à la fin du cours pour leur annoncer la nouvelle. Elle décrit leur embarras, et son prof de maths qui lui répond : « Ah d’accord… ». Voilà de quoi accroître le sentiment de solitude de ces enfants !
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Dans le documentaire, on voit Jean, votre fils, envoyer des ballons dans le ciel à son papa. Ce rituel de deuil, c’était votre idée ?
Elisabeth Bost : Quand il a perdu son père, Jean n’avait que 5 ans. Je lui ai dit que son papa était au ciel. Comment peut-on rallier la terre et le ciel ? J’ai pensé à des ballons gonflés à l’hélium. Jean en a envoyé longtemps. Il transmettait ainsi à son père des autocollants, des petits mots. Le ballon évoque l’idée de fête, d’anniversaire, c’est léger. Ça permet de dédramatiser. J’ai découvert en tournant le documentaire qu’une autre petite fille avait adopté le même rituel. Dans la famille d’Alice, qui a perdu son mari dans un accident d’hélicoptère alors qu’elle était enceinte de leur cinquième enfant, le souvenir passe beaucoup par l’olfactif. A l’annonce de la mort de leur papa, elle a proposé à ses enfants de fermer les yeux et de sentir son parfum. C’est resté. Henri, le fils aîné m’a confié se rendre souvent dans une parfumerie juste pour demander à sentir l’Habit Rouge. Chacun s’invente sa façon de rester connecté à son parent disparu…
Vous avez aussi rencontré des orphelins devenus adultes. Qu’est-ce qui vous a marqué dans leur témoignage ?
Elisabeth Bost : On ne fait pas le deuil de son parent ! Ces adultes vivent en permanence entre le monde des vivants et des morts car ils ne peuvent pas vivre déconnecté de leur parent décédé. Je pense notamment à Hervé Témine, avocat pénaliste reconnu qui raconte la mort de son père alors qu’il n’avait que dix ans. Il fait un lapsus et dit : « ça fait 50 ans qu’il n’est pas parti et que je pense à lui tous les jours ». Cette perte fait partie de leur identité. Elle les fait basculer du jour au lendemain dans le monde des adultes, leur fait perdre leur insouciance mais elle leur donne une formidable force de vie. Comme en témoigne Hervé Témine : « On peut grandir avec une blessure quasi mortelle et ne pas être malheureux. »
Destins d’orphelins, un documentaire diffusé mardi 22 janvier 2019 sur France 5 à 20h50. Auteur : Elisabeth Bost, réalisatrice : Karine Dufour.
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