Sophie a 52 ans. A 20 ans, elle a perdu son père atteint d’un cancer puis sa mère de la même maladie 28 années plus tard. A l’époque, elle a bénéficié du soutien de la MOCF, mutuelle spécialiste dans le soutien des orphelins. Aujourd’hui, mère de 3 enfants, âgés de 23 ans, 20 ans et 17 ans, elle témoigne de son parcours et souligne l’importance de dire la vérité aux enfants quand ils sont confrontés très tôt à ces épreuves de la vie.
Ma mère nous cachait même les rendez-vous à l’hôpital
« La maladie de mon père, je n’y ai jamais vraiment eu accès. Ma mère a toujours essayé de nous protéger. J’avais huit ans quand il est tombé malade et je ne savais pas grand chose de ce qui était en train d’arriver. Ma mère nous cachait même les rendez-vous à l’hôpital. Elle l’accompagnait toujours seule et ne partageait pas le diagnostic des médecins.
Avec mon père, c’était aussi un sujet tabou. Mes parents tenaient à ce que nous poursuivions notre vie le plus normalement possible. Ainsi, lorsqu’il est décédé, j’avais beau avoir 20 ans, je ne savais rien de sa maladie, ni de ses conséquences. Je n’avais pas vraiment pu me préparer à sa mort. J’étais aussi très inquiète pour mon petit frère, qui avait seulement neuf ans à l’époque. Ma mère ne travaillait pas et j’avais envie de la soutenir un maximum en prenant mon petit frère sous mon aile. Heureusement, mon père étant adhérant à la MOCF, il a pu bénéficier d’une prise en charge financière et psychologique.
Je regrette encore d’avoir rendu visite à mon père au funérarium
Rendre visite à mon père au funérarium était une évidence. Je n’envisageais pas les choses autrement ! Et pourtant, je n’avais jamais vu un mort. J’aurais aimé que quelqu’un me prévienne, qu’on m’explique que son corps avait changé et que je n’allais peut-être pas le reconnaître. Ça m’aurait aidé à me préparer ou à reconsidérer ma décision. Mais chez moi, on ne parlait pas de ces choses-là. Résultat : j’en garde un vrai traumatisme et un regret. J’aurais aimé gardé une autre dernière image de lui. Ce silence pesant autour de sa maladie et de la mort reste un poids…
C’est seulement quelques années plus tard, quand j’ai ressenti le besoin de comprendre ce qu’il avait traversé, que j’ai réalisé qu’il était atteint d’un cancer. Avec le recul, j’ai compris qu’à l’époque, le mot « cancer » était tabou et que la parole et qu’jne forme de déni entourait cette maladie. Même le médecin éludait en parlant d’ulcération…
La vérité sur la maladie de ma mère m’a permis de bien l’accompagner
Il y a dix ans, nouveau choc. Un cancer est diagnostiqué à ma mère, deux jours avant mon mariage. La première phrase que le médecin a prononcé a été : « Votre mère a un cancer ». Sa transparence m’a permis de poser des questions concrètes.
« Est-ce soignable ? », « Que pouvons-nous faire pour l’aider ?» et d’obtenir des réponses claires.
Cette fois-ci, on formalisait et on abordait le sujet plus librement. Contrairement à la maladie de mon père, j’étais investie dans le combat. Ce sont mes sœurs et moi qui l’accompagnions à chacun de ses rendez-vous. J’avais la capacité de faire des recherches sur le net pour améliorer son confort de vie. Je me sentais enfin utile. Le médecin nous donnait des directives et nous pouvions agir.
Malgré tout, je n’ai jamais parlé avec ma mère de son potentiel départ. J’avais l’espoir qu’elle guérisse, et je savais aussi qu’elle était très angoissée par la mort. Je voulais la préserver. Mais j’étais moi-même maman, et cette fois-ci, il n’était pas question de cacher la vérité à mes enfants.
Nous étions tous ensemble à l’enterrement de ma mère
Un jour, ma plus grande fille, de douze ans à l’époque, m’a demandé pourquoi sa mamie n’avait plus ses vrais cheveux. J’ai su, à l’instant, qu’il fallait lui dire la vérité. J’ai utilisé des mots simples mais sans la galvauder. J’avais moi-même traversé ce type de questionnement à son âge, j’étais en mesure de comprendre ce qui se passait dans sa tête et l’importance de lui répondre.
Mes deux autres enfants avaient respectivement 9 et 6 ans à l’époque. Ils ont su aussi que leur mamie était malade.
Le jour où ma mère est décédée, nous avions prévu d’emmener les enfants à un match de hockey. Je suis partie rejoindre mes sœurs et mon frère et mon mari s’est occupé des enfants. Le lendemain matin, il nous ont tous rejoints pour l’enterrement.
Ma plus grande fille a demandé à aller voir sa mamie au funérarium. J’ai refusé. Je voulais la protéger. Mais ma fille s’est mise à pleurer : elle n’a pas compris mon refus. J’étais incapable de trouver les mots justes. C’est mon mari qui s’en est chargé, l’a préparé à cette visite particulière, avant de l’accompagner. Ce jour-là, j’ai eu la sensation de réparer une partie de mes blessures…
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Cet article a été réalisé en partenariat avec la MOCF, Mutuelle des Orphelins Charles-Edmond Flamand.
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