Faut-il légaliser l’aide active à mourir ? Pourquoi est-ce que d’éventuels changements concernant un droit à l’euthanasie ou au suicide assisté suscitent autant de résistances ? Du côté des psychologues cliniciens travaillant en soins palliatifs, on s’interroge. L’occasion pour ceux qui recueillent, au quotidien, détresses et interrogations des patients de partager leurs réflexions. Et plus que jamais de savoir entendre et deviner, bien au-delà des mots.
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La mort et le mourir, des concepts différents
La majorité des gens souhaite une mort sans souffrance, c’est une volonté commune. Mais plus que la mort abstraite, c’est le mourir qui nous effraie et notamment dans le contexte de la maladie. En
effet, les notions de « mort » et de « mourir », souvent utilisées sans distinction, font référence à deux dimensions fort différentes pour la personne malade en fin de vie. Alors que la personne voit
venir la mort, elle doit vivre son mourir. Une première réflexion permet donc de préciser que la
mort s’avère une ordonnance de la nature, elle est une réalité inéluctable. La vie s’achève tôt ou
tard par la mort. Cet aspect de l’existence est un des défis les plus difficiles auquel la vie nous
expose. Quant au mourir, il est l’épreuve par excellence d’une situation-limite pour laquelle nous ne
pouvons rien savoir de certain.
La mort, malgré tout le travail approfondi de réflexion de plusieurs penseurs pour tenter de la saisir,
reste finalement un mystère et confronte l’être humain à l’ignorance de son devenir et à sa
condition d’homme mortel.
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La mort comme le moteur de la vie
Une patiente, à qui les médecins viennent d’annoncer une énième récidive et surtout l’impasse thérapeutique dans laquelle elle se trouve, partage sa colère et sa tristesse. « C’est terrible d’imaginer qu’on va mourir bientôt, j’en veux à la vie, je suis si malheureuse de me dire que ça va s’arrêter ». Dans sa détresse, elle nous interpelle « Mais comment font les autres pour digérer ça ? J’ai des choses à vivre, moi ! ». En situation palliative, comme dans le cas d’une pathologie cancéreuse, la confrontation à sa finitude entraîne, de fait, des mouvements psychiques souvent associés à la perte (la perte de ce qui ne sera pas vécu, la future séparation d’avec les proches…). Malgré les fantasmes ou les idées reçues, ce temps compté accroît un désir de vivre et donne une profondeur et une intensité. La mort devient ici le moteur de la vie.
Cet homme affecté dans son corps par une maladie neurodégénérative, restreint dans ses déplacements, dépendant d’autres, souffre de ces pertes. La douleur physique vient le saisir quand il se mobilise. Parfois l’idée « d’être encore plus diminué » le traverse. Il nous partage ses angoisses d’une dépendance majeure, d’une perte d’autonomie. Toujours aidant pour ses proches, il se refuse d’être, ce qu’il nomme, « un fardeau » pour les autres. Il le craint. Son fils, présent, exprime sa souffrance à voir son père transformé à ce point. Tous deux nous interrogent sur le sens à vivre dans une telle situation. Cette question existentielle s’envisage ici très différemment pour le patient concerné dans sa chair et pour son fils spectateur de cette situation.
Dans ces situations extrêmes, les souffrances sont multidimensionnelles, propres à chacun, à chaque histoire et contexte, il s’agit d’une souffrance globale. La perspective de la mort soulève des interrogations sur la nature et le sens de la vie, de la souffrance et de la mort. Il n’existe pas de réponses simples à ces interrogations fondamentales. Il serait alors illusoire de croire que nous pourrions penser que l’on puisse faire l’économie d’un bouleversement psychique et y apporter une réponse universelle.
Aide active à mourir : liberté et autonomie ?
Ces exemples nous montrent comment la personne dans sa maladie peut se trouver lors de son parcours dans de « l’immaîtrisable ». Dans ces conditions, les tentatives de se réapproprier leur vie pourrait, certes, avoir une dimension salvatrice. Choisir sa mort serait-il l’unique tentative de maîtriser sa vie ? La question des choix de ce que l’on veut pour soi, dépend à la fois de ce qu’on a à vivre, du contexte, de notre entourage, de nos désirs, de nos espérances… Finalement, nous ne sommes pas totalement autonomes et libres dans nos décisions.
La liberté touche à la volonté, à la possibilité de choisir
La liberté est une expérience mentale que chacun peut vivre au quotidien, elle est aussi une notion très vaste qui comporte plusieurs dimensions. Elle touche à la volonté, à la possibilité de choisir. Dans ces situations de vulnérabilité, la liberté est, de fait, soumise aux contraintes liées à la maladie, elle est restreinte par l’expérience extraordinaire qu’est en train de vivre le malade. Dans leur recherche de réponses, les personnes malades et leur proche puisent dans leurs ressources personnelles, culturelles, spirituelles, leur entourage… La lourdeur du diagnostic et des traitements médicaux ne doit pas faire oublier ces questions complexes, les expériences enrichissantes et l’importance des rapports humains.
Conclusion
Nous sommes confrontés, dans notre exercice, aux mouvements psychiques permanents des individus face à leur fin de vie. Quel mouvement psychique devrait-on privilégier ? Celui de la souffrance vers la pulsion de mort ou celui de l’existence vers la pulsion de vie ? Quel modèle de société souhaitons-nous privilégier ? Une société avec un individu qui pense maîtriser sa vie et donc de fait souhaiter maîtriser sa mort et se suffire à lui -même ? Une société où l’individu est en lien avec les autres, où l’homme est libre en lien avec son appartenance à une communauté en permanence en interaction, où les hommes partagent le fait d’être mortel ?
Un texte d’Isabelle Haritchabalet, de Ricardo Filipe et de Marthe Ducos
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