Le suicide d’un parent est une tragédie impensable pour un enfant. Alors comment surmonter le sentiment d’abandon et de trahison lorsque les deux parents décident de mettre fin à leurs jours ? À l’âge de 10 ans, le père de Laura, se suicide. Plus de vingt ans plus tard, l’inimaginable se produit : sa mère se suicide à son tour. Elle raconte son chemin de reconstruction.
Suicide d’un parent : l’intensité du choc
Le jour du suicide de son père, Laura n’en garde que peu de souvenirs. « Mes parents étaient déjà séparés à l’époque et ma mère vivait avec la personne qui deviendra son futur mari. Un soir de janvier, trois amis de la famille sonnent à la porte. Ma mère sort sur le palier puis referme derrière elle. Je tente d’ouvrir mais quelqu’un m’en empêche. À travers le judas, je sens que quelque chose de grave est arrivé.
Quand un médecin arrive pour ma mère, j’en ai la confirmation. J’ai dû attendre de pouvoir la rejoindre pour qu’elle me dise ‘Papa est parti’, ‘c’est un accident’. Sur le ‘comment’, le ‘pourquoi’, je n’ai obtenu aucune réponse. D’ailleurs, je ne me souviens pas si la cause du ‘suicide’ a été verbalisée. »
À seulement 10 ans, cette absence de mots soulève de nombreuses interrogations chez Laura. « En voyant la voiture de mon père garer devant chez sa mère ou en croisant un homme lui ressemblant, il m’arrivait de me demander s’il était vraiment mort ou juste parti. »
Ma mémoire m’a longtemps fait défaut
Aujourd’hui, quelques éléments refont surface. « Ma mémoire m’a longtemps fait défaut et le voile de l’oubli a longtemps joué son rôle de protecteur. Cette dernière année, il est plus fin et je perçois comme des flashs. Malheureusement, ils ne me permettent pas de retranscrire la chronologie des événements et l’intensité de ses expériences. C’est un peu comme un film en noir et blanc dont la bobine aurait été mal montée ou endommagée par l’impact du temps et des intempéries de la vie. »
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En grandissant, Laura intellectualise le geste de son père. L’expression autour de cette mort ne se fera qu’à travers de rares opportunités : des remarques spontanées de sa mère, une fiche de présentation pour les professeurs principaux du collège…
« À 15 ans j’ai demandé à consulter un psychologue que je n’ai pas vu longtemps. Je me sentais très différente des adolescents de mon âge. J’avais d’autres préoccupations, des interrogations existentielles, une sensibilité qui me faisait me sentir à part. Je me sentais en dehors du groupe et peut être aussi en dehors de moi-même. Il m’aura fallu attendre mes 24 ans pour rencontrer une psychothérapeute, avec laquelle je démêle encore aujourd’hui l’écheveau de mon parcours. »
Après le baccalauréat, la jeune fille poursuit une licence de psychologie puis un diplôme d’état d’éducateur de jeunes enfants. Elle trouve aussi de l’apaisement dans la littérature et la lecture de témoignages de résilience. « Je me suis intéressée au monde de l’humain et tourné vers tout ce qui pouvait me faire du bien, comme le vie après la mort et la question de la survivance de la conscience. »
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Le suicide de sa mère, une double tragédie
« Peu de temps après le suicide de mon papa, ma mère a développé une fibromyalgie et des névralgies, accompagnée de douleurs physiques très intenses. Malheureusement, cette pathologie était peu connue à l’époque et il faudra des années pour que le diagnostic tombe. Les médecins n’avaient pas beaucoup d’options à lui soumettre pour soulager sa souffrance qui impactait son quotidien tant d’un point de vue physiologique, physique qu’émotionnel. » La mère de Laura compose donc avec la douleur pendant une vingtaine d’années, jusqu’au jour de sa disparition il y a trois ans.
Lors de la déposition pour signaler la disparition de sa mère, les policiers interrogent Laura sur l’état psychologique de sa mère. « Pour moi, il était impensable qu’après le suicide de mon père, ma mère reproduise le même geste. Sept jours durant, en parallèle de l’enquête de la police, amis, famille et inconnus avons organisé des recherches. Nous avons déployé tous les moyens possibles pour retrouver son corps, adossé à un arbre à l’orée d’un bois. J’étais tellement sidérée que je me suis complètement coupée de mes émotions. Puis, mon existence a repris son cours, par réflexe de survie jusqu’à ce que ça explose il y a un an. »
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Et si la vie ne valait pas la peine d’être vécue ?
« Lorsqu’on parle de suicide, on entend deux types de réactions totalement opposées : ‘Il en faut du courage pour se donner la mort’ versus ‘Le suicide est un geste de lâcheté’. Je suis passée par ces mêmes réflexions. Des croyances erronées et limitantes se sont engrammées de façon inconsciente dans ma structuration identitaire selon lesquelles la vie ne valait pas la peine d’être vécue mais aussi le fait de n’être pas assez aimable/aimée pour pouvoir garder mes parents en vie. Et par extension, que je ne suis pas assez ou que je ne fait pas assez de façon générale… ».
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En chemin vers le goût de vivre et l’amour de soi
Laura parle d’une sorte de tiraillement entre une loyauté familiale invisible qui l’amène à comprendre que ses actions ne servent pas toujours son bien-être, et son besoin urgent de vivre. « Il me faut à la fois composer avec une forme d’injonction à la résilience et au bonheur. Une injonction intérieure et extérieure souvent empreinte de culpabilité qui parfois me leste, là où je souhaiterais sentir la légèreté et savourer ce que la vie m’offre. »
Deux ans après le suicide de sa mère, Laura a ressenti le besoin d’exprimer et de partager son parcours. Ce témoignage est pour elle : « un fil de plus sur la trame de ma vie , un pas de plus vers moi et une ouverture vers le monde. C’est une sorte de mise à nu publique, à travers laquelle l’intimité et l’altérité se côtoient, dans ce que notre humanité, sans exception, nous donne à tous de vivre : la mort, les deuil réels ou symboliques, de personnes, de situations, des transformations au cœur même de la nature de Vie-Mort-Vie* ».
« Je ne sais pas quelle forme cela prendra : l’écriture d’un article, d’un livre, d’un spectacle, un documentaire ou simplement l’envie de continuer de vivre avec plus d’Amour… mais il est sûr que je transformerai le plomb en or. » Quelle que soit la suite, c’est une façon pour Laura de contribuer à l’expression et la libération de la parole autour de ce sujet tabou dont on parle trop peu.
Cf Clarissa Pinkola Estés in Femmes qui courent avec les loups*
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