Signataires :
- Tanguy Châtel, sociologue, cofondateur du « Cercle Vulnérabilités et Société »
- Damien Boyer, co-réalisateur de Et je choisis de vivre et co-fondateur de Mieux Traverser le deuil
- Christophe Fauré, psychiatre, auteur de « vivre le deuil au jour le jour »
- Sarah Dumont, journaliste, fondatrice de « Happy End »
Le tollé médiatique qui a suivi le débat parlementaire autour de l’allongement du congé légal suite au décès d’un enfant a eu un mérite : celui de mettre enfin en lumière le sujet largement occulté du deuil. Cette effervescence collective atteste de l’immense charge émotionnelle que la perte d’un proche suscite, particulièrement vive quand il s’agit d’un enfant, et de l’importance de cette question dans le cœur des français. Mais la cacophonie politique révèle aussi l’ahurissante ignorance du sujet de la part du gouvernement, de la représentation nationale et des services de l’Etat, allant jusqu’à faire réagir le Président de la République lui-même. A l’évidence, les débats n’étaient pas à la hauteur des enjeux.
En effet :
- Le deuil n’est pas l’affaire de quelques-uns mais bien l’affaire de tous. Il demeure pourtant un véritable iceberg social : 88% des français sont ou ont été touchés par un deuil. Chaque année, dans le sillage des 600 000 décès, ce sont entre 3 à 4 millions de français qui font nouvellement l’expérience du deuil. Et un Français sur deux se déclare aujourd’hui affecté dans son quotidien.
- Les enquêtes montrent que la souffrance ressentie (forte à intense pour 92% des endeuillés) dépend d’abord de la force des liens affectifs qui ont été brisés, quel que soit l’âge du défunt. Le sujet ne peut donc pas se réduire à la seule perte d’un enfant, ni même à celui des orphelins qui n’a, à aucun moment, été évoqué…
- Les conséquences du deuil sont graves mais le plus souvent ignorées. 59% des endeuillés déclarent pourtant avoir subi une altération de leur état de santé, 51% ont éprouvé des difficultés psychologiques durables, et 39% ont souffert d’isolement. Ces conséquences peuvent être sévères, durer des années, et s’enchaîner dans une ronde infernale. Les répercussions en termes de santé publique, de lien social, de performance professionnelle, de perte de chances, etc. sont aussi massives qu’inconnues. Le deuil génère des coûts cachés qui n’ont encore jamais été évalués.
A l’écart des deuils nationaux qui ont marqué notre histoire récente, l’intense souffrance du deuil ordinaire est maintenue sous le manteau. Nos politiques de santé publique se focalisent sur les maladies chroniques, le handicap, la précarité, le suicide, etc… mais ignorent coupablement le sujet universel et transversal du deuil, qui abîme pourtant chacun et la société tout entière.
En cela, le deuil relève totalement d’une solidarité nationale à tous les étages. Il ne se résout pas seulement sur les bancs du Parlement ou du gouvernement, encore moins quand il est réduit à des mesurettes hâtivement votées. Il engage nos solidarités de proximité, celles informelles des familles, des voisins, des collègues, et du tissu associatif hélas méconnu et dispersé. Il engage tout autant celle des employeurs, les entreprises également citoyennes et solidaires comme semble enfin le comprendre le MEDEF, mais aussi et surtout tout employeur public. Il engage enfin celle des élus locaux dont la première responsabilité est d’assurer le bien-être des administrés et qui sont les grands absents de ce maillage.
Il est grand temps que les pouvoirs publics s’emparent de cette question avec détermination et méthode, et impulsent enfin une stratégie globale et nationale capable de fédérer les initiatives éparses et de replacer cette question au cœur du lien commun. Le deuil est l’épreuve vivante et universelle dans laquelle la République s’affirme et se renforce. Au travail !
A noter : Il n’existe aucune étude d’ensemble sur le deuil qui soit référencée dans la base de données de la DREES (ministère de la santé et des affaires sociales) ou de l’INSEE.
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