Je ne pensais pas devoir un jour remettre en cause la définition de la Mort… Il m’apparaissait que c’était un sujet clos, indiscutable. Que la définition qui nous est transmise, chez nous, a été établie de façon sérieuse. Et qu’elle s’appuie sur des éléments de connaissances tangibles, fiables : « scientifiques », en somme. Mais j’allais de surprise en surprise en menant mon enquête sur le thème des funérailles pour l’écriture de mon livre !
Mais quand est-ce qu’on est vraiment mort en fait ?
Tout avait commencé avec un petit encadré ! Je cherchais la « bonne définition » de la Mort. Et en lisant certains articles, un malaise a commencé à me gagner… Ma certitude était malmenée. Cette certitude de savoir ce qu’est la Mort. Quelque chose, en moi, s’est mis à s’effriter au fil des articles… Car je dus me demander pour la première fois de ma vie: « Mais QUAND est-ce qu’on est vraiment mort !? ». C’était étrange… Ça avait un côté « drôle » : parce que sept ans plus tôt j’avais écrit une fable (pour adultes) sur le chemin de deuil intitulée « Tu es toujours mort ? »( !). Et c’était un peu comme si cette phrase-là venait de me « rattraper » ! Et puis ça avait aussi un côté pas -drôle-du-tout ! Parce que me demander aujourd’hui si ce que je croyais (avant) était faux remettait tout en cause… Et là, je riais jaune!
En médicalisant la fin de vie, tout devient plus complexe
Comme chaque fois que je suis devant une équation non résolue, je suis partie en quête de réponses. Les informations trouvées me posèrent problème. Moi qui croyais que tout était simple. Un peu comme si le bouton était sur « ON » quand on était vivant et passait sur « OFF » quand on mourait ! En réalité je découvrais que tout était devenu de plus en plus complexe ! Depuis l’invention de la réanimation et des avancées technologiques qui nous permettent maintenant de « médicaliser » la fin de la vie et la mort ; d’intervenir sur les corps humains à différents stades du vivre et du mourir…
De la mort cardiaque à la mort cérébrale
Quand on étudie l’histoire de la science on s’aperçoit alors que les marqueurs du décès changent !
1° Auparavant, on diagnostiquait la mort en mettant un miroir sous le nez ou un verre d’eau sur la poitrine. Et comme il y eut des histoires sordides : de vivants injustement enterrés trop tôt, on inventa dans certains endroits des « salles d’attente »-pour-les-morts, histoire de moins prendre de risque…
2° Au milieu du 18e siècle, chez nous, les médecins s’emparent de la question et définissent des « moyens de diagnostiquer »la mort (« respiratoire »). Inutile de vous lister ici l’ensemble des techniques utilisées, elles sont trop cruelles (du genre : vous transpercer le doigt pour voir si vous « réagissez » !).
3° Et puis on a inventé le stéthoscope : on s’est mis à étudier la circulation sanguine d’une façon inédite. On décida que désormais c’était l’arrêt du cœur qui signerait la mort. On était passés à « la mort cardiaque ».
4° Ensuite, tout basculait. En 1959, une réunion internationale de neurologues mis sur le tapis une question technique en réanimation : la question du « coma dépassé ». Les intellectuels de l’époque décrétèrent donc que finalement « on est mort lorsque le cerveau ne fonctionne plus » (ce qu’on appela la « mort cérébrale« ). Le « siège de la Vie » changeait de lieu, on quittait le cœur pour désigner le cerveau.
L’invention d’une nouvelle définition de la mort
Dans la foulée, en 1968, un comité d’experts décida de réinventer la définition de la Mort ! Désormais, un individu pouvait « être déclaré mort même si son cœur continuait à battre grâce à des mesures artificielles de maintien des fonctions vitales« . Cette définition changea radicalement l’approche du corps mort. Et elle permit une nouvelle pratique : le « prélèvement d’organes » qui avait déjà démarré officieusement mais se voyait légalisée. (Faisons ici l’impasse sur ce passage noir de notre Histoire : la période qui précède : celle qui utilise les prisonniers et les pauvres comme « cobayes »…).
Une conception qui varie en fonction des pays
Cette conception des choses n’est pourtant pas partagée par l’ensemble des états dans le monde. Certains pays, intéressés par le prélèvement d’organes, restant tout à fait opposés à cette idée de prélèvement sur « un corps le cœur battant ». Un mort qui a encore un corps « rose », qui « respire », qui « bouge « parfois et dont le « cœur bat », même si c’est « grâce à des machines » : tout le monde ne considère pas que c’est un état associé à la « mort »… Naïvement, j’avais toujours cru, moi, qu’on prenait les organes « sur les morts », pas sur de morts-« moitié-vivants » ! J’étais sous le choc…
Existe t-il une définition incontestable de la mort ?
Les données historiques montraient qu’il n’existait pas de définition « incontestable » de la mort ! Comment était-ce possible ?! Je me tournais vers la biologie et la science pour voir ce qu’on en savait…
1° Les scientifiques, pour leur part, avouaient que « Non, nous n’avons toujours pas réussi à décréter ce qu’est la mort ! Où elle commence ; quel est le moment où nous basculons. En définitive, nous ne connaissons pas la »ligne de démarcation » entre la Vie et la Mort…
2° Les certificats de transplantation d’organes déclarent d’ailleurs des « heures de décès » de façon « très variable »…
3° Les outils d’évaluation de la Vie et de la Mort varient, eux, d’un pays à l’autre, et d’une époque à l’autre.
4° En France, la « formule technique » servant à définir la Mort évolue régulièrement.
Elle est ainsi passée de « un certain temps » à « 3mn ». Puis à « 30 minutes d’électroencéphalogramme plat ». Un critère remis en cause par certains médecins aujourd’hui…
Pourquoi je refuse d’être donneuse d’organes ?
Où est donc la limite entre la vie et la mort ?
Les affirmations des Bouddhistes expliquant qu’on n’est « pas encore mort » quand on meurt (que « le mourir » prend du temps) me semblèrent soudain moins incongrues. Alors que jusque là, je voyais dans cette croyance quelque chose de « surtout spirituel », je commençais à me demander si, de façon empirique, ils n’en avaient pas « plus » appris que nous sur le sujet. Et s’ils avaient « raison » ? Je cherchais à comprendre… Pourquoi des disparités de définitions et de postures entre pays ? Qu’est-ce que c’était qu’un mort qu’on osait appeler un« déchet anatomique » ? Quelle différence il y avait entre une « NDE »(ou EMI*) et un « corps maintenu artificiellement en vie » /ou encore/ un « corps entretenu en état de vie corporelle artificielle » ? Pourquoi on parlait de « tourisme de transplantation (d’organes) » ?».
Comment expliquer que certains morts reviennent à la vie ?
Et aussi : quelle était la définition de la Mort au regard de la loi ? Que voulait dire la formule: « théorie du double effet » ? Que signifiaient les mots : « ressuscitation », « mort indue »ou « survie inutile » ? Pourquoi serait-il illégitime de questionner le prélèvement d’organes (non pas « en tant que tel » mais plutôt tel qu’il se pratique aujourd’hui avec les critères actuels de la mort). Et si les morts dont on prélevait les organes étaient bien « morts » : pourquoi les anesthésier (?!). Je ne comprenais pas non plus comment certains morts « revenaient à la vie » (cette australienne et tous les autres dont le cœur se remet à battre-avec ou sans l’aide des machines- ces gens déclarés«-cliniquement morts »): étaient-ils « vraiment » morts, alors ?
Une notion indéfinissable
J’appris beaucoup… Bien plus que je ne pouvais « digérer », en réalité ! Des questions d’ordre éthique (inédites) n’ont pas manqué de me tourmenter au passage… (J’avais le tournis !). Et, retournant à ma petite définition, j’étais perdue, qu’allais-je faire de tout ça !? Il y avait tant d’éléments différents… Ceux qui nous précèdent distinguaient déjà 3 « niveaux de mort »:
- la « vie suspendue »,
- la « mort suspendue »
- « la mort absolue »
Mort du tronc cérébral ou biologique…
Aujourd’hui nous parlons plutôt de « mort cardio-respiratoire / encéphalique / mort du tronc cérébral /ou du cerveau supérieur ». Mais aussi (!) de: mort « clinique », « administrative », « fonctionnelle », « physiologique », « biologique » (etc.). J’étais dans l’embarras… Je décidais, pour ce livre là, de faire simple et de contenir ma définition de la Mort comme prévu dans 5 lignes ! Mais je ne pourrais pas en rester là… J’allais poursuivre mes recherches sur ce que j’appellerai désormais le « mourir » plutôt que la « mort ».
Avec une nouvelle question à la clé (une étonnante question tout de même):« Est-il désormais si difficile que ça de mourir naturellement (et simplement) » ?
Il me faudrait -c’est sûr-un peu de temps pour y répondre!
(A suivre…)
Lire aussi :
- Biologie de la mort, de André Klarsfeld et Frederic Revah
- Sociologie de la mort, Gaëlle Clavandier
- Les expériences de mort imminente (EMI), c’est quoi ? Explications.
- « Mon EMI à 11 ans a été le début d’un chemin de recherche vers la quiétude »
Laetitia Royant est l’auteure de Funérailles écologiques, avec B. Lapouge, éditions Terre Vivante.
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