Aide-soignantes : comment font-elles face à la mort ?


En France, la moitié des décès a lieu en milieu hospitalier et près de 13% en maison de retraite. C’est donc aux équipes soignantes que revient la mission d’accompagner les personnes en fin de vie. Or, ils ne sont pas toujours formés ni préparés à cet accompagnement. Et rares sont les espaces de dialogue proposés pour les professionnels au sein de ces structures. Comment vivent-ils le décès des résidents ? Quels besoins expriment-ils ? Voici leur témoignage.

Isabelle, 48 ans, aide-soignante : “Il y a des décès qui, par leur brutalité, vous marquent pour toujours

Avant de travailler en foyer d’aide médicalisé (FAM) en tant qu’aide-soignante, j’ai exercé plus de vingt ans en maison d’accueil spécialisée (MAS) où j’étais davantage confrontée à la mort. Beaucoup de résidents atteints de maladies dégénératives ou avec une santé très fragile y séjournaient. Nous devions faire face, tous les ans, au décès de plusieurs résidents.

Chaque mort a été difficile à traverser. Nous passons six jours sur sept avec nos résidents, il y a forcément des liens qui se créent et l’affect entre en jeu. Certains nous considèrent comme des membres de leur famille. Alors, quand je perds un résident, bien sûr que je ressens de la tristesse. 

Et puis, il y a des décès qui, par leur brutalité, vous marquent pour toujours. Je me souviens d’un décès en particulier. C’était le jour de la fête des résidents, les familles devaient arriver. Au cours du repas, un résident a fait une fausse route. Je me suis précipitée vers lui pour lui faire la méthode Heimlich, sans succès. J’ai ensuite mis mes doigts dans sa bouche pour essayer d’enlever ce qui était coincé, mais rien n’y a fait. Son père est arrivé vingt minutes après. Je me suis sentie tellement impuissante et longtemps coupable de ne pas être parvenue à le sauver.

Suite au décès de l’une de mes résidentes, ma hiérarchie ne comprenait pas pourquoi cette perte m’avait autant affecté. Ils ont décidé de m’envoyer en formation “Juste distance suite au décès d’un résident”. Sans surprise, cela ne m’a pas aidé. Finalement, c’est auprès de mes collègues que j’ai trouvé du réconfort puisque ce sont les seules personnes avec qui je peux en parler. Des temps de paroles collectifs avec une psychologue seraient un bon moyen de s’assurer du bien-être des soignants. 

Nous sommes formés à mettre une juste distance avec nos patients, mais dans les faits, cela reste compliqué. Je tiens, à chaque fois, à me rendre aux enterrements des résidents, car j’éprouve le besoin de leur dire au revoir, ce qui n’est pas le cas de tous mes collègues. J’estime que c’est notre rôle de les accompagner jusqu’au bout. 

Notre direction voudrait que l’on passe tout de suite à autre chose. Notre rôle de soignant est très déshumanisé. Pourtant, si nous avons choisi ce métier, c’est parce que nous aimons les autres. Il y a une dizaine d’années, nous prenions plus de temps entre chaque arrivée. Aujourd’hui, la chambre d’un résident décédé est occupée dans les jours qui suivent son départ. C’est brutal. Une bonne façon de nous faire comprendre qu’il faut vite l’oublier.”

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Laurence, 47 ans, aide-soignante : “Je retourne parfois sur la tombe de mes résidents pour leur parler

 “Anciennement aide-soignante en EHPAD, j’exerce depuis trois ans et demi en foyer d’accueil médicalisé qui accueille des personnes avec un handicap physique ou une déficience intellectuelle. Dans mon précédent établissement, j’étais confronté à des morts plus naturelles, alors qu’en FAM, les résidents sont assez jeunes. Ils ont en moyenne quarante-cinq ans, leur décès est donc plus difficilement acceptable. 

J’ai beau savoir que mes résidents vont mourir un jour ou l’autre des suites de leur maladie, je ne suis jamais tout à fait prête. 

Avec le temps, je m’attache à mes résidents. Je me rappellerai toujours d’un de mes patients atteint de la maladie de Charcot dont l’état s’était brusquement dégradé. Il avait décidé de vivre ses derniers jours avec nous au foyer. C’était un homme très souriant avec beaucoup d’humour qui n’avait qu’un seul souhait avant de mourir : aller admirer une dernière fois le Lac du Bourget. C’est nous qui l’avons accompagné… Il est décédé seulement une semaine plus tard.  

Si je ne me suis jamais rendu aux enterrements de mes résidents, je retourne parfois sur leur tombe pour leur parler et leur rendre un petit hommage.      

Contrairement à beaucoup de mes confrères, nous avons la chance d’avoir une psychologue qui organise des groupes de parole et des entretiens individuels dans notre établissement. Cela nous aide beaucoup, car ces temps d’échanges nous permettent de nous remémorer de bons moments passés avec le résident. J’ai aussi consulté une psychologue pour m’aider à dissocier mon travail et ma vie privée et à ne pas ramener chez moi des émotions trop lourdes liées à la perte de certains résidents.

Dans mon équipe, quand un drame survient, je me suis donné le rôle de la personne qui reste forte, de celle qui écoute, mais j’aurai besoin d’être mieux préparée à affronter le décès des résidents. Notre direction ne nous le permet pas. J’ai récemment fait une demande pour une formation sur les soins palliatifs, elle a été refusée.”

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Laurence, 53 ans, aide-soignante : Le bureau de notre cadre est un peu le bureau des pleurs.”

“Aide soignante depuis maintenant vingt-deux ans, j’exerce actuellement dans un service de médecine polyvalente qui accueille des patients atteints de différentes pathologies, majoritairement du cancer. 

Dans mon service, je dirais qu’une personne décède toutes les semaines. Il nous faut donc faire face très fréquemment à la perte de nos patients. S’il est toujours compliqué de perdre un résident, c’est d’autant plus difficile quand il est plutôt jeune. Je le vis davantage comme une injustice de la vie. 

L’année dernière, la mort d’une de mes patientes m’a particulièrement affectée. Il s’agissait d’une femme de 53 ans, mère de deux enfants. Son cancer du sein avait multimétastasé, il n’y avait plus rien à faire. À l’époque, elle avait fait une demande de sédation qui lui avait été refusée. Ce fut très difficile de voir cette femme si souriante, qui avait quasiment mon âge, se dégrader à vue d’œil.

Je ne travaillais pas le jour où elle est décédée, je regrette beaucoup de ne pas avoir été présente. Elle gardera toujours une place dans mon cœur. 

Il m’arrive parfois d’avoir envie de pleurer, mais j’essaye toujours de garder la face devant les familles pour ne pas leur rajouter de la peine. 

Avec mes collègues, nous avons l’habitude de dire que le bureau de notre cadre est un peu le bureau des pleurs. Elle nous reçoit à chaque fois que nous en ressentons le besoin, ce qui est d’un grand soutien émotionnel. C’est important de se sentir écouté et compris. Tous les mois, la psychologue nous reçoit aussi pour discuter, une manière de s’assurer de notre bien-être. 

J’ai l’impression que le décès des patients nous touche davantage quand nous avons nous-même vécu un deuil, car nous avons conscience de la peine que va provoquer cette perte. Avoir perdu des proches m’a ouvert à une plus grande sensibilité. »

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