Anne Tuffigo est médium. Elle communique avec les défunts. Une faculté qu’elle s’est découverte toute petite mais qui a d’abord été vécue comme un fardeau. À sept ans, elle se couchait la trouille au ventre, terrorisée par ses « chuchoteurs invisibles ». C’est à la mort de sa mère que sa vie bascule : elle lui demande des signes de vie. Des preuves de survivance qu’elle recevra et qui la pousseront à se servir de son don. Très vite, elle se lance comme médium et des associations spécialisés dans l’accompagnement du deuil la contacte pour organiser des séances de médiumnité publiques au cours desquelles elle délivre des messages de défunts à leurs proches.
Comment parvenez-vous à recevoir tous ces messages de défunts ?
Je préfère parler de faculté que de don. On a l’impression qu’il y a une gentille marraine qui s’est penchée sur notre berceau pour nous donner un quelconque don. Si par là, on entend un don de soi ou quelque chose qu’on va distribuer, je suis tout à fait d’accord. Maintenant, je choisirais plutôt le mot faculté car on va parler de facultés extra-sensorielles. Donc, la capacité de percevoir, d’entendre, de sentir tout un tas de présences qui sont celles de nos chers disparus. Ces facultés jalonnent ma vie depuis que je suis toute petite. Alors là, je vous en parle avec un ton très détendu et je vous en fait une très jolie explication. Mais quand j’étais enfant, c’était loin d’être le cas. Je n’ai pas du tout décidé de mettre ça un jour dans ma vie. On ne se lève pas un matin en se disant je veux devenir médium, on fait un choix de vie. Alors, c’est peut être un peu présomptueux de parler d’appel. En tout cas, moi, à un moment donné, toutes ces perceptions extra-sensorielles m’ont débordé littéralement. Je n’arrivais plus à rationaliser les choses, ça ne marchait plus, il a donc fallu faire un choix de vie, je dirais, et c’est ce que j’ai fait il y a dix ans.
Est-ce que tous les médiums sont capables d’entrer en contact avec les défunts ?
Alors, le mot médium, par essence même, veut dire outil, canal, ou encore moyen. Il se distingue de la voyance ! Parce qu’on me pose souvent la question de la différence entre un voyant et un médium. Le médium parvient à entrer en contact avec les êtres défunts. Nous n’avons pas spécialement besoin de support, alors que le voyant, lui, a besoin d’un support, comme un oracle, un pendule, des tarots, etc. Ce n’est pas la façon de travailler du médium. Il peut m’arriver de m’appuyer sur des photos, notamment lors de séances de médiumnité publique. Quand il y a 100 personnes dans une salle, on en a tout autant, voire le triple de l’autre côté. Avoir un support, au moins une photo, peut m’aider à capter ou à canaliser plus facilement.
Comment les défunts se manifestent-ils ?
Alors, les défunts se manifestent de nombreuses façons. Parfois, je n’engage qu’un seul sens. Prenons par exemple la vue, un consultant arrive dans mon cabinet et je lui dis tout de suite percevoir la présence d’un être cher, juste derrière lui. Après, je peux avoir tout de suite la claire audience, c’est à dire des mots ou des phrases. Je dirais que nos défunts utilisent les sens, c’est en tout cas la façon la plus aisée pour eux de se manifester. Je vais également pouvoir me servir de langage extra-sensoriel. Ou aussi des odeurs de quelqu’un qui se parfumait beaucoup et peut ainsi manifester sa présence par le parfum qu’il portait de son vivant ou bien par une odeur très particulière. Et voilà, nous sommes des êtres sensibles, avec un champ sensoriel finalement très limité. On n’a que cinq sens, nous. Les animaux, en possèdent parfois beaucoup plus. Et bien nos défunts se servent de notre champ sensoriel pour pouvoir se manifester à nous. Alors oui, c’est très empirique. Oui, c’est finalement très fragile. Mais c’est aussi leur seule façon de pouvoir se manifester à nous de façon directe.
Comment avez-vous fait pour grandir normalement, malgré ces capacités extra-sensorielles ?
Je n’ai jamais été une grande courageuse, il faut le savoir. J’avais peur de l’herbe, du toboggan. J’étais vraiment une grande trouillarde. Mais ce qui me terrorisait le plus, c’était ça. 7 jours sur 7, j’avais la sensation d’avoir deux vies : la vie de petite fille qui a peur du d’un toboggan et la nuit, quelque chose de tout à fait particulier, une présence étrange et surtout inexpliquée. Je n’avais aucune raison pour expliquer cette présence que je ressentais. J’avais envie de tout, sauf d’aller me coucher et de me dire que chaque soir, ce même rituel, si j’ose dire, allait se répéter. Ça a été une grande frayeur et encore aujourd’hui, le réflexe de mettre la couverture jusqu’au dessus de mon nez est resté. Même si aujourd’hui, je vis tout à fait bien cette cohabitation, il y a des réflexes qui sont restés, encore aujourd’hui.
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En tout cas, c’est votre grand mère qui vous rend le plus souvent visite.
Oui, c’est elle. J’ai compris après que c’était parce qu’elle avait été en grande souffrance et qu’elle avait aussi certainement reçu beaucoup de perceptions extra-sensorielles. Comme on a pu lire sur toute l’histoire de ma famille, ils auraient pu être nombreux à se manifester parce que l’histoire est un peu douloureuse, mais j’ai vraiment eu cette sensation particulière. Et le plus frappant est que je ne l’ai jamais connue, donc je n’avais aucun inconscient, ni familial, ni personnel, qui aurait pu me faire fantasmer cette femme parce que ma mère ne m’en avait quasiment jamais parlé. La douleur de sa perte avait été trop forte. Donc je savais déjà au fond, moi, que si j’avais dû fantasmer quelque chose, ça n’aurait jamais été cette femme pour laquelle j’avais aucun élément tangible auquel me raccrocher.
Elle ne me demandait rien, simplement de s’assurer que je comprenne bien qu’elle soit là. Mais avec ces perceptions, j’ai compris qu’elle avait certainement envie de m’adresser des messages. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que les êtres en errance, puisque c’était son cas, ne sont pas forcément à même d’être aussi clairs et aussi audibles que le sont ceux qui sont partis plus en paix et sur des plans vibratoire suffisamment élevés pour pouvoir se manifester à moi.
Alors, je vous dis tout ça aujourd’hui avec les connaissances que j’ai, mais je pense qu’elle faisait déjà son maximum énergétiquement pour se manifester à moi. Et sa simple présence, je pense déjà, devait lui prendre beaucoup d’énergie.
Vous voyez vos grands mères et d’autres défunts, mais vous n’en parlez à personne ?
Non, il y a très tôt une sensation d’interdit. Ça, je le comprends très vite. Du tabou aussi. Et parce que moi, je ne viens d’aucun univers, ni spirituel, ni religieux. La religion dans ma famille a très vite été balayée d’un revers de la main, voire moquée et pointée du doigt. Je savais que je ne trouverais pas de réponses ou d’écho auprès de mes parents. Et ma famille étant très réduite, je n’ai eu personne à qui me confier. Cette peur de fabuler et d’être accusée de mensonge me tenaillait et peut être aussi la peur de raviver des plaies ou en tous cas, de bouleverser mes parents. Les enfants ont toujours envie d’être le modèle parfait pour leurs parents, n’est ce pas ? Et je n’avais pas envie de leur montrer.
À 12 ans, vous entendez la voix d’un homme qui vous annonce que votre maman va mourir jeune; Comment vivez-vous cette information ?
Je ne l’ai pas analysée. Vous savez, c’est comme quand vous mettez en surimpression des mots dans un texte. C’est comme si j’avais mis un coup de Stabilo. Ou bien comme si j’avais mis en caractères gras une information qui a été un choc absolu, accompagné de somatisations importantes puisque à partir de ce moment là, j’ai développé des allergies, de l’eczéma, du psoriasis. Mon corps a pratiquement rejeté physiquement l’information et ça a été d’une terrible violence pour moi. D’abord parce qu’à 12 ans, et même après, on a l’envie de garder ses parents. Ça a généré chez moi une grande culpabilité parce que j’avais dans un premier temps l’impression que je m’étais suggéré cette phrase et que finalement, ce n’était que l’expression d’un désir inconscient de ma part. Ça a été terriblement violent. Je sentais que cette information m’avait été donnée. Et puis s’est mis dessus, bien évidemment, la volonté de rationaliser les choses et de désigner une coupable. Et la première, évidemment, ça se devait d’être moi, d’être celle qui allait tuer ma mère. Elle est effectivement décédée en 2004, à l’âge de 52 ans.
Quand votre mère décède, elle vous aide à aiguiser vos dons.
Ma mère a été mon meilleur cobaye. Dès que je me suis retrouvée au funérarium, dans cette pièce assez sombre, j’ai eu l’impression de me retrouver dans une mauvaise scène de théâtre ou une veillée un peu morbide. Je me suis vue comme spectatrice de cette scène car j’étais face à la dépouille de ma mère, mais je savais qu’elle n’était déjà plus là. Pour la première fois de ma vie, j’avais vraiment l’illustration d’un corps terrestre sans son âme et je me suis dit : « je vais lui poser la question ! Et surtout lui demander de se manifester. Ces réponses m’ont mis face à une vérité évidente et libérée de mes doutes, mes perceptions se sont accrues.
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À l’époque, vous êtes professeur de lettres et vous décidez de quitter votre poste ?
J’ai mis quelque temps avant de prendre cette décision. D’abord parce que j’étais jeune maman, et j’avais une vie confortable, matériellement et socialement. J’ai mis du temps à accepter ce chemin, mais plus les journées passaient et moins je me sentais à ma place. Je sentais qu’il fallait urgemment que je prenne une décision de vie. Et j’ai croisé le chemin d’un homme médium qui m’a appris le métier. Ça s’apprend. A l’aide d’exercices, de patience, d’écoute, il m’a aidé à me brancher sur la bonne fréquence. Quand on tourne les boutons de la radio, on change d’ondes, et il m’a aidé à me mettre sur les bonnes ondes pour pouvoir entrer en communication de façon efficace et tangible avec les défunts.
Quand on est médium, est-on considérée un peu comme une marginale ?
Complètement. Aujourd’hui, on a un problème de réglementation. Notre métier n’a pas de statut officiel. Nous ne sommes reconnus ni par nos pairs, ni par la science, ni par un quelconque diplôme. Dans les clichés et les poncifs relatifs à la médiumnité, on est encore associés à Madame Irma. On suscite beaucoup de fantasmes et de peur aussi, Je ne parle pas de mon métier à tout le monde. C’est encore très tabou et ça peut provoquer des réactions très violentes.
Quand recevez-vous des messages des défunts ?
Ils viennent me voir en permanence et j’ai appris à fermer la porte pour mener une vie normale. Et depuis que je consulte officiellement et que j’en ai réellement fait un travail au quotidien, je maîtrise beaucoup mieux leurs intempestives manifestations. Il m’arrive de leur dire : « Aujourd’hui, j’ai rempli ma mission, j’ai été votre vecteur. Foutez moi la paix, j’ai envie de passer une bonne soirée ! »
Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans le deuil ?
Ce sont les endeuillés qui faisaient appel à moi qui m’ont mis sur ce chemin. Je sortais à peine du deuil de ma mère et je savais à quel point recevoir un message avait été pour moi salvateur, précieux et avait transformé ma vie. C’était une sorte de passation.
En quoi ça consiste une séance de médiumnité publique ?
Une séance de médiumnité publique est souvent organisée par une association d’aide au deuil. Organiser une séance collective aide à lever les peurs, c’est plus facile que de consulter seul un médium. Sur place, on pose une photo ou un objet ayant appartenu au défunt et le médium, qui ne connaît donc personne dans la salle, va être visité par les défunts en questions. Parfois, nous sommes face à plus de 100 personnes. Dans ses yeux qui nous regardent, il y a de l’attente, du scepticisme, plein d’émotions, et il faut leur emmener un message tangible.
C’est un exercice difficile car il est polyphonique. Imaginez-vous entendre des voix qui se mêlent les unes aux autres et qui ont des choses importantes à dire. C’est à moi d’organiser les messages que je reçois et c’est à moi de les distribuer. Je le rôle de la factrice et mes messages doivent permettre à la personne de reconnaître son proche décédé. Il peut m’arriver de donner des prénoms, la façon dont cette personne est décédée. Une personne reconnait son défunt et lève la main. Les défunts ont ainsi l’occasion de leur délivrer un message, de leur dire qu’ils vont bien. Et les endeuillés d’exprimer leur chagrin, parfois de la culpabilité, de l’incompréhension, souvent quand il s’agit de départs volontaires.
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On peut dire que vous êtes un complément d’une psychothérapie ?
Oui. Je pense à cette femme en deuil qui avait consulté tous les psys possibles, son médecin lui avait prescrit une ordonnance d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, mais elle pleurait toujours autant. Ses amis ne savaient plus quoi lui dire pour la consoler. Elle avait besoin d’ouvrir une autre porte. Aujourd’hui, la médiumnité est une porte qu’on ouvre quand les autres moyens thérapeutiques n’ont pas fait leur preuve. Avec moi, on peut parler de tout et surtout, je vais leur offrir, à travers le message de leur défunt, une autre façon d’envisager les choses.
Y-a-t’il des risques à trop consulter un médium ?
Oui, et nous nous devons, en tant que médium, d’avoir de l’éthique et de la déontologie. J’explique souvent à mes clients qu’entrer en contact avec un défunt demande beaucoup d’énergie, et que ça leur demande beaucoup aussi. Je ne suis évidemment pas là pour créer une dépendance. D’ailleurs, mes consultants viennent de façon solennelle.
Consulter une fois à deux fois par an, c’est bien dans le cadre d’un deuil récent. Au delà, on n’aurait pas grand chose à se dire. Ce qui se dit et se passe pendant une séance, il faut savoir l’entendre et le digérer tout en faisant son chemin de deuil. Je suis contre la récurrence de ces rendez vous parce qu’il faut aussi pouvoir cheminer soi même et être toujours maître des choses. Je ne suis pas là pour dicter la vie des gens. Je suis là simplement pour leur donner des clés. C’est eux qui ouvrent ou pas les portes.
Si un médium vous dit : « on se revoit dans 15 jours, fuyez ! » Enfin, les défunts ne répondent toujours à l’appel ou certains ne sont pas joignables. Parfois, cela signifie que l’on n’est pas encore prêt à recevoir un message ou qu’il est trop tôt. Je demande à mes consultants d’attendre deux à trois mois après le décès pour pouvoir établir un contact avec leurs êtres chers. Parfois, quand ils sont partis très malades, ils ont besoin de temps pour retrouver toute leur énergie. Il y a tout un tas de paramètres qui font qu’un instant T, notre défunt ne se manifeste pas forcément.
Quel message font-ils souvent passer aux humains ?
L’essentiel de leur message est relatif à l’amour. Deux grandes questions nous sont posées quand on passe de l’autre côté : Comment as tu aimé et qu’as tu fait pour cela ? Vous voyez qu’on est bien loin de la réussite sociale. Et c’est ce qu’ils nous encouragent à faire. Il faut être parfois dans le dénuement le plus total, que ce soit matériel, physique ou émotionnel, pour se rapprocher de l’essentiel. C’est ça, c’est l’amour. Et ils nous y invitent.
Quand vous intervenez auprès de proche suite à un suicide, quel message pouvez-vous leur envoyer par rapport au défunt ?
Parmi les gens qui me consultent, rares sont ceux qui ont reçu une lettre suite au suicide d’un proche. Vous imaginez les dégâts que ça laisse derrière eux. Des familles entières dans l’incompréhension et qui, évidemment, ont envie de trouver une explication rationnelle. Alors, je ne dis pas qu’on vient de trouver toutes les réponses dans mon bureau, mais des messages très forts de leur être cher, qui vont les aider à comprendre un geste, une raison. On peut penser qu’il est impossible de se suicider parce que sa petite amie nous a quitté. Mais parfois, on se laisse tellement submerger par son chagrin qu’on est dépassé. Et les défunts le disent : « je n’ai pas su dépasser ma douleur. Pour moi, c’était une grande souffrance. Je ne voulais pas la montrer. Je ne voulais pas vous faire souffrir, et c’est pour ça que j’ai décidé de mettre fin à mes jours ». Parfois, mettre des mots sur sur un geste silencieux et parfois incompréhensible permet enfin d’entamer un chemin de deuil. Libéré de toute culpabilité, on peut enfin envisager de pleurer l’être cher et se dire que c’était son choix et accepter qu’on n’en est pas forcément responsable.
Justement, dans votre livre, vous dites que vous les aider à composer avec le fardeau et le cadeau. Qu’entendez par là ?
Dans le cadre d’un deuil, nos êtres chers nous laissent dans le chagrin et la douleur de l’absence. Ça, c’est le fardeau que leur absence nous laisse pour toujours. Mais très souvent, dans un deuil, nous sommes aussi confrontés à des questions existentielles. Des questions sur soi. « Que vais-je faire de ma vie ? Comment je vais avancer. Et souvent, la mort de ceux qu’on aime est un catalyseur puissant. Parfois, on la transcende et on en fait des choses exceptionnelles, extraordinaires. On va puiser dans nos ressources intérieures, se dépasser et finalement apprendre à se connaître. Ça, c’est la transcendance et c’est surtout le cadeau qu’ils nous offrent. J’assiste à des transfigurations de vie que je trouve absolument incroyables. Bien sûr, tout n’est pas qu’happy end, mais parfois la mort peut être un cadeau. Une transcendance salvatrice.
Quelle est votre vision de la mort ?
La mort, c’est un passage. Le passage d’un d’une vie terrestre à une vie énergétique céleste. C’est une étape dans le processus du cheminement de l’âme. C’est aussi la fin de l’école terrestre où je trouve que les profs sont rudes !
Quel message souhaitez-vous faire passer à nous, les vivants ?
Prenez le temps de savourer chaque instant et n’attendez pas pour dire « Je t’aime » ou « Pardon ». Il faut prendre le temps du dialogue et de la communication. Mais aussi de l’amour. Et la pudeur ne doit pas nous en empêcher .
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