Annoncer la mort : les mots qui touchent


Comment annoncer la mort ? Témoignage.

C’était un beau jour ensoleillé, nous étions occupés à jardiner tranquillement. Un homme âgé, agité, est arrivé en courant dans la ruelle qui bordait le jardin. Il nous appelait à l’aide ! En quelques mots, il explique que son ami et lui viennent de charger un cochon dans la bétaillère. En le faisant monter de force, le copain est tombé par terre. Et resté inanimé, terrassé par un mal invisible.

Nous le suivons dans la fermette d’à coté (secrète, désuète, que je n’ai jamais vu que du bout du chemin). Au premier coup d’œil, je « sais » que l’homme est mort… Mais quelque chose en moi ne veut pas le croire, pourtant. Je demande au vieil homme paniqué d’appeler les pompiers pendant que mon mari donne déjà les premiers secours…

Faire repartir un cœur ? Je ne sais pas faire…

Brusquement le temps se met à ralentir. Mon mari « intervient » et moi je me dis que, définitivement, je ne sais pas faire tout ça ! Appliquer ce que j’ai appris au brevet des premiers secours sans penser à toutes les côtes que je pourrais encore casser en essayant de faire repartir un cœur… J’ai l’impression que je ne sers à rien. Alors je m’assois par terre et je fais abstraction de ce flot d’angoisse qui plane sur nous.

Je glisse ma main sous la tête de l’homme (pour le soutenir). Je regarde ses yeux. Qui regardent ailleurs. Et je me mets à lui parler. (Est-ce que je parle « tout haut » ? Ou dans ma voix intérieure ? Je ne sais plus. Le temps est suspendu.) Je lui dis qu’on ne se connait pas. Je lui raconte ce qu’il s’est passé. J’ajoute qu’il peut essayer de revenir, qu’on est là. Ou qu’il peut partir


L’arrivée des pompiers

Entre temps, les pompiers et les gendarmes sont arrivés. Ils nous demandent de nous écarter, nous assurent qu’ils prennent tout en charge maintenant. Nous nous retrouvons dans la cuisine avec le vieil homme désorienté. Il raconte, en boucle, ce qui s’est passé, comme s’il ne pouvait pas y croire. Je l’écoute, jusqu’à ce qu’un semblant de calme revienne.

Est-ce qu’il a de la famille, le voisin ? L’ami explique qu’ils sont tous deux de « vieux paysans célibataires ». Il y a bien la sœur, mais il ne se sent pas le cœur à l’appeler ! Je prends le téléphone et j’appelle pour informer de l’accident. Il vient juste de partir en hélicoptère aux urgences… Nous n’en savons pas plus. Les gendarmes doivent la rappeler.

Le cœur à l’envers

Plus tard, nous rentrons chez nous. Le soleil est radieux, mais nous avons le cœur à l’envers. On nous appelle pour nous annoncer finalement que l’homme est mort. (Qu’il l’était déjà, en fait, quand nous sommes arrivés…). Je me demande alors « comment on sait sans savoir ? » Est-ce qu’une simple intuition peut suffire, quand il s’agit des « autres » ? Et pourquoi c’est plus compliqué quand il s’agit des « siens » ?


Annoncer la mort et accueillir la douleur

Dans la soirée, alors que nous commençons à peine à penser à autre chose, mon téléphone sonne. C’est la sœur ! Elle veut savoir ?! En une fraction de seconde je comprends que personne ne l’a recontactée et que ça tombe sur moi ! Je maudis les gendarmes. Tous ceux qui n’ont pas eu la délicatesse de penser à elle… Comment annoncer la Mort ? Comment expliquer ?? J’ai l’impression que ma gorge s’emplit, d’un coup, d’un gros sac de sable qui engloutit tout… Je crois qu’aucun mot n’est possible… Mais une force venue de plus loin, à l’intérieur, me donne le courage de parler.

Je dis la Vérité (avec un timbre de voix que j’essaie de maitriser parce que je n’ai qu’une envie : pleurer). Au bout du fil, j’entends quelque chose qui se fracasse… La douleur de cette femme qui explose. Je me sens démunie. Je m’enfonce plus loin dans mon silence. Et je reste juste là. En présence. À l’écouter pleurer, crier. Est-ce que ça dure « longtemps » ? Je ne sais plus… Il me semble que cette douleur dure une éternité, suspendue au téléphone, comme à un fil qui me relie à cette inconnue. Je me souviens seulement que j’attends « la fin ». La fin du naufrage…

Trouver les mots qui touchent pour annoncer la mort

Le temps est passé. Heureusement qu’il passe… Une fois dissipées les brumes du moment, j’ai fait le constat suivant : je ne sais toujours pas faire les gestes des premiers secours comme il faudrait. Mais je peux faire « celle-qui-est-là » et « les-mots-qui-touchent »… Et les mots, parfois, ce sont des gestes.

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