Covid-19 et funéraire, les leçons à retenir


La barre des 65 000 morts de la Covid-19 a été franchie. Plus que jamais, le secteur du funéraire est mis à rude épreuve avec une augmentation de 12% des décès par rapport à 2019, sur la période du 1er mars au 21 décembre 2020.

Face à la recrudescence des décès dans certaines régions et aux contraintes sanitaires, l’organisation des obsèques a été bousculée, parfois empêchée et a obligé les professionnels à s’adapter.

Si la loi a tenté de faciliter leur activité, avec des aménagements temporaires, certains mériteraient d’être pérennisés et d’autres points d’être discutés afin d’accompagner les familles au mieux, même en temps de crise.

Le funéraire, maillon essentiel de la chaîne sanitaire

Dans une note présentée le 2 juillet 2020 par le sénateur Pierre Ouzoulias à l’Office parlementaire d’évaluation des choix techniques et scientifiques, Pascale Trompette et Martin Julier-Costes, sociologues chercheurs, considèrent que les métiers du funéraire sont les grands oubliés de la crise.

Exclus de la chaîne sanitaire, les personnels des pompes funèbres n’ont, au début de la crise, pas tous bénéficié des dotations des équipements de sécurité (masques, blouses, gants…) ; ils ont dû « se débrouiller » avec les moyens du bord ou compter sur la solidarité citoyenne. « Nous avions une filière d’approvisionnement. Nous n’avons donc pas manqué de protections pour notre personnel mais il a fallu rationner. Et nous avons aussi eu la chance de bénéficier de la solidarité locale », précise pour sa part Jean-Antoine Gourinal, Directeur des Crématoriums et de l’Environnement à OGF.

Ils n’ont pas non plus bénéficié des avantages mis en place par le gouvernement pour le personnel soignant (dérogation de déplacement ou garde d’enfants). « Le secteur du funéraire a été classé comme un secteur sensible, mais ne figure pas parmi les professionnels de santé mentionnés à l’article 7 de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19. »

Une injustice pointée du doigt par Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française des pompes funèbres, dans la note sénatoriale. Alors qu’ils jouent un rôle primordial dans la prise en charge des défunts, les opérateurs funéraires ont été tenus à distance … maintenus à la « périphérie du secteur médical » et non considérés comme maillon de la chaîne sanitaire.


Un allègement des démarches administratives à maintenir après la Covid-19 !

Déclaration de décès, autorisation de crémation, transport du corps… Chaque prise en charge d’un décès représente pour un professionnel de nombreuses démarches. Une lourdeur administrative qui pèse sur le funéraire. Pendant la crise de la Covid-19, pour ne pas ralentir la prise en charge des défunts et protéger le personnel, ces démarches ont été simplifiées et numérisés.

Les acteurs du publique et du privé ont parlé d’une même voix et la profession a été entendue. Comme l’explique Manuel Sauveplane, Président de l’UPFP (Union du Pôle Funéraire Public) : « On n’avait plus besoin d’attendre d’avoir un dossier complet pour pouvoir agir. Il faudrait que cette facilité d’action soit pérenne. Il faut arrêter de nous donner des gardes fous ! Et nous permettre de travailler de façon simple et logique. On a été écouté, compris. Un dialogue s’est instauré et se poursuit avec les Ministères de la santé, de l’Intérieur et de la Cohésion des territoires. »

Une nécessaire collaboration public-privé chère à Jean-Antoine Gourinal, qui souhaite, avec l’appui du CNOF, « tirer les conséquences de cette crise et pouvoir faire perdurer la cellule interministérielle afin de fluidifier le dialogue avec le gouvernement. » En ce sens, le CNOF travaille sur l’édition de guides et des fiches techniques sur les pratiques funéraires à l’attention des autorités afin de mettre à disposition de chaque collectivité la même information. Un moyen d’éviter les disparités et de gagner en efficacité, à fortiori en situation de crise.

Un manque avéré de carrés confessionnels en France

Par ailleurs, un enjeu de laïcité s’est posé au cours de la crise sanitaire : comment faire, quand le rapatriement du corps est impossible et que le cimetière ne dispose pas d’un carré confessionnel ?

En effet, la fermeture des frontières a empêché le rapatriement des corps et à ce jour le territoire national ne compte qu’environ 600 cimetières équipés de carrés confessionnels sur 35 000. « Cette crise a montré que nous n’étions pas prêts et que nous manquions de préparation et d’organisation en terme d’espaces, tant au niveau des dépositoires que des crématoriums et des cimetières », regrette Gaëlle Clavandier, sociologue et anthropologue.

Un constat que partage Mohammed Bououden, directeur de pompes funèbres musulmanes à Nantes : « Dans notre secteur en Loire-Atlantique, seules les villes de Nantes et de Saint-Herblain possèdent des concessions musulmanes et celles-ci commençaient à saturer bien avant le coronavirus. Nous avons fait remonter cette information auprès de la mairie, mais aucun nouveau carré musulman n’a été créé depuis. Et les demandes de dérogation des habitants des communes alentours pour accéder aux carrés musulmans des cimetières voisins sont toujours refusées. »

Il précise par ailleurs qu’au début de la crise « le défunt était inhumé localement, selon les places disponibles. Si les familles le souhaitent, elles pourront exhumer le défunt à la fin de la crise sanitaire, pour le rapatrier dans le pays d’origine de la famille ».

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La nécessité de repenser les espaces des cérémonies civiles

Face à la recrudescence des décès dûs à la Covid-19, les crématoriums se sont trouvés dans une situation de saturation inédite. Cette fois c’est le manque d’espaces dédiés aux cérémonies civiles qui a été criant, notamment dans les villes où rien n’est prévu.

« Trouver une salle pour célébrer des rituels est un véritable « chemin de croix » à Bordeaux. Nous avons dû procéder à des cérémonies dans un local près d’une décharge, à l’extérieur dans des conditions climatiques épouvantables ou dans des domiciles exigus. Un travail est en cours avec la mairie de Bordeaux pour faire ouvrir des salles. » Edileuza Gallet, fondatrice de la coopérative funéraire Syprès de Bordeaux, se bat pour « convaincre les élus de créer des lieux laïcs ».

Des obsèques à la mairie ?

Et pourquoi pas directement à la mairie ? On y célèbre bien des mariages et des baptêmes alors pourquoi pas des obsèques ? Le 23 novembre 2016, une proposition de loi socialiste pour l’organisation d’enterrements civils à la mairie avait été adoptée par les députés pour que des salles municipales soient mises gratuitement à la disposition des familles. Si, depuis le 19ème siècle, la possibilité de choisir un enterrement civil est reconnue par la loi, faute d’obligation pour les communes de les accueillir, les options s’offrant aux familles restent encore très limitées.

Le développement des cérémonies à distance lors de la Covid-19

Le premier confinement dû à la Covid-19 n’a pas permis à l’ensemble des proches du défunt de participer à la cérémonie. Face à la détresse des familles endeuillées, le secteur du funéraire a tenté de s’adapter tant bien que mal pour les soutenir et les accompagner dans l’épreuve.

Certains n’ont pas hésité à recourir aux outils numériques pour proposer des solutions en distanciel : cérémonies retransmises en direct, livre du souvenir virtuel, interactions sur les réseaux sociaux…

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« Dans notre entreprise, nous mettons un point d’honneur à accompagner les familles et à s’adapter à toutes les situations. Au cours de cette crise, déployer des moyens techniques pour permettre au plus grand nombre d’assister aux funérailles était indispensable », explique Gautier Caton, Directeur général des Pompes Funèbres Caton.

C’est ainsi qu’au sein de son entreprise 60 à 70% de cérémonies ont été filmées pendant la première vague, soit plus 150 heures de films et certaines cérémonies ont dépassé les 500 spectateurs. En accès limité, selon le choix des familles, et sécurisé. Mais « après la première vague, on n’a plus reçu de demandes. C’était une solution temporaire. Mais qu’on continuera à proposer car le déplacement peut être un problème pour certains proches du défunt », ajoute Gautier Caton.

Ce service pourra convenir aux familles éclatées ou à une personne en Ehpad ou hospitalisée. Outre les services professionnels, il y a eu également les « solutions bricolées par les familles elles-mêmes », ajoute Gaëlle Clavandier.

Des initiatives privées et partielles : groupes Whatsapp de prières, cérémonies religieuses filmées, dispersion de cendres filmées, envoi de photo en direct ou en différé du corps ou du cercueil…

Les obsèques en vidéo, une solution de crise plus que durable

Il semble donc se profiler un avenir pour le funéraire numérique mais de nombreux freins devront être levés : problèmes de connexion, précarité numérique, surtout en zone rurale, comme le constate Cynthia Mauro, psychologue, docteure en psychologie, vice-présidente du Centre International d’études sur la mort, et qui précise que « dans les zones rurales du Nord, les familles ne s’en sont pas saisies ».

La crise sanitaire de la Covid-19 a donc éprouvé les métiers du funéraire. Mais « un mal pour un bien » car elle a aussi permis de les placer dans le débat politique et citoyen.

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