Le deuil n’épargne pas le monde de l’entreprise. Un salarié sur deux a déjà été confronté à un deuil dans le cadre professionnel et un manager sur trois s’est retrouvé face à un collaborateur endeuillé, selon une étude du Crédoc pour l’association Empreintes. Pourtant, 50 % des employeurs n’ont rien prévu pour le décès d’un collaborateur !
Et ce manque d’accompagnement peut laisser des traces, voire pousser certains employés à quitter leur poste.
L’impact du décès d’un collègue
C’est le cas de Céline, journaliste de 49 ans, qui a donné sa démission suite au décès de sa collègue d’un cancer.
“ Nous avions tissé des liens au-delà de notre relation professionnelle. Quand elle est décédée, nous partagions un bureau avec une autre de nos collègues, et sa chaise vide était juste en face de la mienne. Cette vision était insupportable pour moi. Un mois plus tard, j’ai annoncé mon départ”, raconte-t-elle.
Émotionnellement, c’était trop compliqué, d’autant plus qu’aucun membre de notre direction n’est venu nous voir, ni le jour de sa mort, ni les jours suivants. Organiser rien qu’un pot en sa mémoire aurait pu nous aider à nous sentir mieux.”.
Loin d’être un cas isolé, Céline fait partie des 11% de salariés qui quittent leur emploi suite à un deuil. Et celui d’un collègue ne fait pas exception. Or, sauf en cas d’initiative personnelle de l’employeur, le décès d’un collègue ne donne actuellement droit à aucun congé.
“Sous le choc, nous étions incapables de travailler et souhaitions rentrer chez nous.”
Quand il s’agit de l’accompagnement proposé par leur entreprise après un décès, les salariés soulignent souvent le sentiment d’être délaissé. Un constat partagé par 70 % des salariés en deuil.
Il y a huit ans, Élodie, 39 ans, travaillait comme agente administrative à la Sécurité sociale. L’une de ses collègues était partie en arrêt maladie. Et, dans les faits, rien d’anormal, sauf qu’elle n’est jamais revenue. C’est en arrivant au bureau que son équipe lui apprendra la nouvelle : sa collègue était décédée d’un cancer du poumon en phase avancée dont elle ignorait l’existence. Son conjoint en avait informé la direction.
“ Sous le choc, nous étions incapables de travailler et souhaitions rentrer chez nous. Mais notre responsable de site nous a demandé de faire notre maximum malgré la situation. Le lendemain, la direction nous a informé de la possibilité de nous rendre à l’enterrement… à condition de poser un jour de congé. Ça a été dur à encaisser. »
Suite à ce décès, aucun moment d’échange collectif ou individuel avec la direction ou avec un.e psychologue n’a été proposé à l’équipe, alors que les salariés en ressentaient le besoin. “Notre bien-être, c’est le dernier de leur souci.”, ajoute Élodie, désabusée. Depuis, elle n’a d’ailleurs plus la même vision de la vie et fait passer sa santé avant son travail.
Les bonnes pratiques à mettre en place suite au décès brutal d’un collègue
• L’annonce du décès. La façon d’annoncer le décès à vos salariés aura un réel impact. Un silence donnerait l’impression qu’aucune valeur ne leur est accordée.
Ainsi, ne tardez pas à communiquer la nouvelle pour éviter les bruits de couloir et privilégiez une annonce en face à face plutôt que par e-mail, souvent jugé trop froid. Il est également préférable d’annoncer le décès aux salariés les plus proches du défunt, et en petit comité.
• Un temps particulier. Le jour même, vos salariés ressentiront certainement le besoin de se retrouver pour exprimer leurs émotions et leur douleur face à cette perte soudaine. Ayez à l’esprit que cette première journée sans leur collègue peut être très éprouvante. N’hésitez pas à leur proposer un temps d’échange en groupe, puis en individuel pour ceux en ressentent le besoin. Si vous ne vous sentez pas à l’aise dans cet exercice, sachez que des professionnels de l’accompagnement du deuil peuvent intervenir en urgence auprès de vos équipes.
• Le jour des obsèques. Bien qu’actuellement le décès d’un collègue ne donne droit à aucun jour de congé, offrir le jour de l’enterrement à vos collaborateurs peut être un geste apprécié et donner aux équipes le sentiment que leur douleur est prise en compte. Ce sont des attentions qui comptent en entreprise.
Décès sur le lieu de travail : le double choc
En 2023, 661 personnes en France sont décédées sur leur lieu de travail, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail.
Quand le décès d’un salarié survient au sein de l’entreprise, il est d’autant plus important pour l’entreprise de réagir rapidement, car le choc est double pour les employés. Assister à une mort violente peut ajouter une dimension traumatique à la perte et amplifier le sentiment d’impuissance et de culpabilité.
En 2011, lors du service du repas, la jeune collègue de Karine s’est écroulée dans un couloir de l’hôpital dans lequel elle travaillait en tant qu’aide-soignante. “Par chance, je ne travaillais pas ce jour-là, mais l’une de mes collègues et amie m’a aussitôt avertie. À l’arrivée des secours, ma collègue était en état de mort cérébrale. Elle n’avait que 31 ans et un petit garçon. J’étais sous le choc et tellement en colère contre la vie.
“Ensuite, tout est allé très vite. La direction a organisé une réunion avec toute l’équipe ainsi qu’avec le médecin de service afin que nous puissions échanger sur le drame. Si cet événement fut source d’un traumatisme pour nous, c’est ma collègue qui a assisté à l’accident qui en a le plus souffert. D’ailleurs, elle n’a jamais souhaité en parler.
Ce drame m’a affecté de longs mois. À tel point qu’un jour, j’ai croisé dans le service une collègue qui lui ressemblait et je me suis mise à pleurer.”
Si Karine se réjouit de l’accompagnement apporté par sa direction, elle regrette toutefois que le suivi n’ait pas duré dans le temps. “Le train de la vie reprend vite et nous pouvons oublier que tout le monde ne passe pas aussi rapidement à autre chose. D’autres réunions pour s’assurer du bien-être des membres de l’équipe auraient été les bienvenues.”
Les moments d’hommage aident à traverser le deuil
En 2011, Mathilde, 65 ans, ancienne directrice et professeur d’école maternelle, a perdu l’une de ses collègues, l’ATSEM de sa classe, dans des circonstances tragiques. Un jour, elle n’est pas venue travailler.
“La veille, elle avait assisté à la pré-rentrée avec toute l’équipe, mais nous sentions qu’elle n’allait pas bien. Le lendemain, aux alentours de midi, l’une des ATSEM inquiète de ne pas la voir arriver, a décidé de lui téléphoner. L’un de ses proches lui a alors annoncé que celle-ci s’était pendue dans sa cave durant la nuit. Sous le choc et en pleurs, nous tentions mutuellement de nous réconforter avant le retour des enfants.
Je n’ai pas ressenti de culpabilité car c’est parfois le cas après un suicide, je savais que la dépression l’avait déjà emporté trop loin dans son mal-être.”
Afin d’honorer la mémoire de cette amoureuse de la nature, elle a proposé de planter trois cerisiers dans le jardin de l’école.
“Un vendredi, après l’école, nous nous sommes réunis pour ce rituel, en présence des élèves et des familles. Mes collègues et moi avons prononcé quelques mots pour lui adresser un dernier au revoir. Cette cérémonie a apporté un peu d’apaisement à notre douleur.
Grâce à ces arbres, elle continue de vivre d’une certaine manière, et pour elle qui adorait la nature, j’imagine que cette symbolique fait sens.”.
Voir aussi : Deuil après un suicide : un long processus
D’autres idées pour rendre hommage à un salarié décédé dans notre livre blanc.
Un livre blanc pour mieux accompagner le deuil en entreprise
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