En France, L’Ehpad est le dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées. En raison de l’âge et de l’état de santé des résidents, la mort fait partie du quotidien des soignants. C’est à eux que revient la mission d’accompagner la fin de vie de nos ainés. Or, ils ne sont pas toujours formés ni préparés à cet accompagnement. Et rares sont les espaces de dialogue proposés pour les professionnels au sein des EHPAD. Comment vivent-ils le décès des résidents ? Quels besoins expriment-ils ? Voici leurs témoignages.
Emmanuelle, 49 ans, infirmière : « Les gens sortaient par la petite porte comme des déchets. »
“Si aujourd’hui j’adore mon métier, cela n’a pas toujours été le cas. Au début de ma carrière, le choix de devenir infirmière était plutôt alimentaire, je ne connaissais alors rien au métier de soignant.
À seulement 19 ans, je me suis retrouvée en poste dans une maison de retraite pour un travail d’été en tant qu’Agent de Service Hospitalier. Avant de commencer, on m’avait conseillé d’être dynamique avec les résidents afin de les “booster”. J’arrive alors dans la chambre d’une dame, le sourire aux lèvres, j’ouvre grand les rideaux et arrache la page du calendrier. Je vais ensuite vers elle pour relever sa tablette, et là, elle me tombe morte dans les bras.
Je suis sortie de la chambre en hurlant à la recherche d’une infirmière. J’ai fini par trouver quelqu’un, mais j’ai rapidement réalisé que l’on ne m’aiderait pas. L’infirmière m’a fait comprendre qu’il fallait que je me calme et que je passe vite à autre chose. Cet événement m’a anesthésiée, cela m’a rendu totalement muette lors des décès qui ont suivi. Je n’ai pu en parler à personne pendant très longtemps.
Quelques années plus tard, autour de mes 22 ans, je devais passer une évaluation avec douze de mes patients. La veille, dix sont décédés. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai quitté le service triste et en colère. Triste, parce que je les connaissais, mais, en colère, parce qu’en tant que soignante, je n’arrivais pas à accepter la mort. Une surveillante m’a rattrapée pour tenter de me raisonner, elle m’a expliqué que nous n’avions pas la possibilité de sauver tout le monde. C’était la première fois que l’on me parlait de la mort. Elle m’a aidée à accepter la mort et à comprendre que la vie pouvait s’échapper, que nous n’avions aucune prise sur elle.
Aujourd’hui, j’ai à cœur d’accompagner les jeunes soignants sur le sujet, car il est inenvisageable de reproduire les comportements auxquels j’ai dû faire face. Leur donner la parole et une oreille attentive est très important pour moi. Les amener à accueillir le concept de la mort, à y réfléchir.
Plus récemment, durant la période du Covid-19, dans l’établissement dans lequel je travaillais, aucun travail n’était fait sur la mort. Nous sortions les gens par la petite porte comme des déchets et les personnes âgées mouraient dans la solitude, et souvent, à cause de la solitude. Un jour, la fille d’une résidente m’a appelé pour un souci sans importance et j’en ai profité pour lui conseiller de venir voir sa mère, car elle n’allait vraiment pas bien. Mon initiative n’a pas du tout plu et je me suis fait vivement rappeler à l’ordre. Je voulais seulement que cette dame ne passe pas ces derniers instants de vie seule et que sa fille puisse lui dire au revoir. J’ai quitté mon post peu de temps après.
Depuis maintenant trois ans, j’exerce à l’EHPAD Jacques Bonvoisin à Dieppe. J’y ai découvert une autre approche de la mort, bien loin de tout ce que je connaissais. Ici, nous sommes formés à l’accompagnement de la fin de vie. Une psychologue est à notre écoute et nous avons même pu rencontrer une thanatopractrice. Tout est mis en place pour qu’il n’y ait absolument aucun tabou sur le sujet. La mort a sa place et nous en tenons compte, nous en parlons.”.
Céleste, 47 ans, aide-soignante : » Pratiquer la toilette mortuaire m’aide à leur dire au revoir. »
“Depuis bientôt six ans que je suis aide-soignante, je côtoie nos aînés… Et forcément la mort.
Quand je perds un résident, j’ai le cœur lourd et il m’arrive parfois de verser quelques larmes. On nous rabâche qu’il ne faut pas s’attacher, mais comment peut-on exercer cette profession sans affection ? Nous pouvons tout à fait y mettre du cœur, de l’empathie, de l’écoute et prendre du recul au moment du deuil. Ce n’est pas parce qu’il y a de la tendresse et du respect que nous ne connaissons pas la fameuse barrière soignants-soignés.
Dans l’EHPAD où je travaille, j’ai la chance d’avoir une cadre compréhensive et à l’écoute de nos demandes. L’année dernière, par exemple, j’avais sollicité une formation ciblée sur l’accompagnement de fin de vie. Cela nous a permis de mieux comprendre comment gérer un décès pouvant nous affecter.
Suite à la crise de la Covid-19, nombre de burn-outs ont suivi. Dans mon service, sur soixante et onze résidents, vingt-cinq sont décédés en une semaine… Ce fut une période effroyable. Trois de mes patients sont morts dans mes bras.
La psychologue de notre établissement nous a accompagnés dans cette épreuve. Personnellement, je n’ai pas eu besoin de plus pour avancer. Mais certaines de mes collègues ont préféré se tourner vers un thérapeute extérieur. Trop proches de notre psychologue, elles pensaient trouver plus d’objectivité ailleurs.
Après chaque décès, je tiens à effectuer la toilette mortuaire. Ce rituel contribue à mon apaisement. Normalement, ce n’est pas à nous de la faire, mais elle me permet de dire au revoir au résident dans l’intimité. Je prends soin de lui une dernière fois, lui décris mes gestes comme habituellement. Je le remercie pour sa confiance, nos échanges, nos éventuels fous rires ou confidences. Ma façon à moi de lui dire au revoir.”.
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Chloé, 30 ans, infirmière : « On a mis en place un cahier avec les photos des résidents dans la salle de pause. »
“J’exerce le métier d’infirmière depuis mes 21 ans et je suis donc régulièrement confrontée à la mort.
J’ai effectué ma première toilette mortuaire dès ma première année dans le soin. Sans surprise, cela a été assez difficile. J’avais l’impression que c’était ma faute, que je n’avais pas suffisamment pris soin du résident. Avec le temps et le soutien de mes collègues plus expérimentées, j’ai appris à dédramatiser ce que je pouvais ressentir suite à un décès.
Ce qui est aussi compliqué après la perte d’un résident, c’est d’être confronté à la peine des autres. Même si cela n’est techniquement pas mon rôle en tant qu’infirmière, j’ai déjà eu à annoncer plusieurs décès à des proches, ce qui n’est jamais agréable. Avant chaque appel, je me conditionne, je m’isole et fais des exercices de respiration pour être la plus apaisée possible.
Pendant la période Covid, la gestion des décès nous a traumatisés. Dans mon service, les pompes funèbres entraient dans les chambres avec les cercueils. Nous emballions les personnes dans des sacs sans effectuer aucun soin, puis le cercueil était fermé. Cela paraissait irréel.
Parmi les quatre établissements dans lesquels j’ai exercé, je n’ai vécu qu’une fois un temps de parole dédié aux soignants. Cela faisait suite au suicide d’un patient. Au quotidien, si nous voulons du soutien, c’est à nous d’aller consulter la psychologue de l’EHPAD.
Pour nous aider, nous avons mis en place un cahier avec les photos de tous les résidents qui nous ont quittés dans la salle de pause. On le feuillette en se remémorant de bons souvenirs. C’est notre manière à nous de ne pas les oublier et de leur rendre hommage.
Dans mon ancien service, j’avais demandé à ce qu’on mette en place un lieu de recueillement pour les soignants et les résidents. Ma demande a été acceptée, mais combien de fois les demandes d’aide de mes confrères et consœurs n’ont pas été prises en compte ?”.
Si vous ressentez le besoin d’échanger au sujet de la perte d’un résident ou de toute autre difficulté, le service Thadeo vous offre une écoute confidentielle et gratuite 7j/7.
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