Je m’appelle Sylvie Talent, j’ai 50 ans, je suis infirmière, et je milite pour lever le tabou de la mort en milieu hospitalier. Parce que nous manquons cruellement de formations sur le sujet. Parce que porter la tunique blanche ne nous protège pas des situations difficiles mais aussi car il devient de plus en plus pesant de travailler dans un service où l’on fait tout pour la repousser.
Jusqu’à la révolution, il n’y avait pas d’hôpitaux laïques
Selon mon expérience de terrain, le déni de la mort chez les soignants trouve son origine en trois points : le poids de l’histoire, le manque de formation et l’absence d’échanges suite au décès d’un patient.
Pour saisir le poids de l’histoire, il faut, à mon sens, se pencher sur l’origine du métier d’infirmière. À partir du XVème siècle, on appelle « enfermier l’ensemble des personnes qui prennent en charge les malades de toutes les vagues épidémiques. Jusqu’à la Révolution, on rattachait cette fonction à l’Église, il n’existait pas d’hôpitaux laïques, ni de formation spécifique. Cela s’inscrivait dans les actes de dévotion des religieuses. Le premier diplôme d’infirmier laïc et reconnu par l’État ne verra le jour qu’en 1922.
Cet héritage religieux, nous en payons le prix chaque jour
Cet héritage religieux, nous en payons le prix chaque jour. Nous portons encore en partie cette “cornette” sur nos têtes. Nous avons hérité du devoir de prendre sur soi, de ne pas se plaindre ou encore de ne pas montrer nos émotions. Mais le statut d’infirmier ne relève plus seulement de la vocation.
Être infirmier demande une certaine dose de résilience, mais aussi, et avant tout, d’accepter certains deuils symboliques tels que ceux de nos idéaux et de nos velléités à nous imaginer tout-puissant face à la maladie. Sans oublier que nos vécus personnels face à la mort et notre façon de la gérer viennent se mêler à notre métier. On agit avant tout avec ce que l’on est.
Intervenir auprès d’un défunt est loin d’être évident
En dehors des services spécialisés comme le sont ceux des soins palliatifs ou des soins de suite, où les formations sur le sujet sont une évidence, la mort n’a pas le même impact sur le soignant, selon l’âge à laquelle elle survient. Concrètement, cela signifie que chez les jeunes professionnels, il peut être difficile d’accepter et d’intervenir auprès des défunts et de la famille, lorsque l’on a, ni le recul, ni le soutien nécessaire pour assurer cette démarche.
On nous forme pour soigner, pas pour accompagner la mort
Je suis souvent confrontée à des collègues désemparés face aux missions qui leur incombent. Ils redoutent de devoir effectuer une toilette mortuaire ou d’annoncer de nuit un décès à une famille. Pour mener à bien cette mission, ils souhaiteraient être épaulés, et éviter ainsi que ces décès ne deviennent une épreuve traumatique. La tunique blanche ne nous donne pas toutes les connaissances et ne nous protège en rien des moments difficiles. Les études et les formations professionnelles proposées n’ont pas évolué en ce sens. On nous forme pour soigner et protéger, pas pour accompagner dans la mort ou prodiguer des soins au défunt.
À l’image de notre société, la mort est en partie occultée dans le milieu hospitalier et de fait, travailler ou se former sur le sujet n’est pas une priorité des plans de formations. Pourtant, faire face à la mort et la gérer, cela s’apprend et c’est cet apprentissage qui permet d’éviter l’épuisement professionnel ou un détachement de façade qui résulte de nos mécanismes de défense. Nous sommes, en France, bien loin de ce que propose le Québec sur le sujet.
La mort est encore trop vécue comme un échec
La mort ne peut être que taboue quand on travaille dans un service où l’on fait tout pour la repousser. Elle est vécue comme un échec et fait peur. À l’heure où la médecine fait tant de prouesses, pourquoi la prise en charge de la mort en milieu hospitalier reste-t-elle encore si difficile ? Les pressions psychologiques sont toujours plus nombreuses dans les métiers du soin, et quand la mort s’invite là où elle n’était pas attendue, dans l’urgence du monde des vivants, elle malmène les équipes et déstabilise tout un chacun, parce qu’elle nous ramène à notre propre condition de mortel.
Exprimer son mal être face à la mort devient de plus en plus difficile
Enfin, il ne faut pas oublier de prendre en compte les mécanismes à l’œuvre au sein d’une équipe quand on garde pour soi son propre ressenti sur la mort, par crainte du regard ou du jugement de ses collègues. Ne pouvoir exprimer qu’en aparté son mal être et son désarroi suite à la mort d’un patient ne peut suffire à prendre le recul nécessaire.
On ne laisse pas assez de temps aux soignants pour leur permettre de comprendre ce qui se déroule à cet instant précis. Il n’y a pas de groupe de parole systématique instauré après chaque décès, dans un moment où l’on sait que la parole, justement, permet à chacun de s’affirmer au sein d’une équipe en tant qu’individu, avec son vécu et ses ressentis.
Créer un espace de réflexion sur la mort est une nécessité
Créer un espace de réflexion et d’élaboration autour du vécu de chaque soignant face à la mort est une nécessité pour leur permettre de se détacher de leurs ressentis, souvent difficiles, lors de la gestion de celle-ci. Il est urgent de remettre l’humanisme et l’éthique au cœur de nos actes.
Sylvie Talent est infirmière d’état spécialisée en soins psychiatriques à la Roche sur Yon. En 2017, elle a suivi le DU sur la mort et le deuil à la faculté d’Amiens puis a créé une formation de 3 jours autour de la mort à destination des soignants. Elle propose aussi des accompagnements individuels auprès des personnes endeuillées.
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