Oui, les veuves aussi ont une vie sexuelle !


Après la perte de son conjoint, on s’imagine qu’une femme perd tout intérêt pour sa sexualité. Si effectivement, certaines veuves voient leur désir sexuel étouffé par la douleur du deuil, d’autres, au contraire, éprouvent une soudaine envie de satisfaire leur libido. Réduites au silence par une société qui catégorise la mort et le sexe comme des sujets tabous, ces femmes vivent trop souvent ce désir dans le secret et la culpabilité. Pourtant, il n’a rien d’anormal. On vous en dit plus. 

Une pulsion de vie salvatrice 

Lorsqu’on perd un être cher, un mécanisme de protection psychique se met naturellement en place. “Une sorte d’anesthésie affective s’empare de l’esprit. Certains sont d’ailleurs horrifiés par ce vide de tout sentiment et le prennent à tort pour une monstrueuse indifférence. (…) Cette mise à distance doit être pourtant perçue comme une alliée qui permet d’entrer, à son propre rythme, dans son processus du deuil”, comme l’expose Christophe Fauré, psychiatre et auteur de Vivre le deuil au jour le jour.   

Chez certains endeuillés, le sexe peut devenir un moyen d’apaiser ces émotions négatives. Associé au bien-être et à la vie, il contrastent fortement avec l’expérience du deuil. D’ailleurs, comme l’explique Helen Fisher, biologiste et anthropologue aux journalistes de Vox, « Les relations sexuelles libèrent de la dopamine, également appelée molécule du plaisir, dans le cerveau, provoquant ainsi cette sensation de bien-être mais aussi d’optimisme, d’énergie et de motivation. »

À seulement 33 ans, le mari de Jennifer décède d’un cancer, la laissant seule avec leur petite fille d’à peine un an. Deux semaines après l’enterrement, Jennifer croise par hasard un ami de longue date. Leur relation évolue très vite vers une dimension plus intime. Ce nouvel amant et cette vie sexuelle retrouvée lui permettent de renouer avec elle-même. « Il partageait le même appétit sexuel que moi. Nous avions des rapports plusieurs fois par semaine, parfois même en pleine nuit. Je me sentais vivante, emplie d’émotions et d’amour, enfin prête à quitter ce mode ‘pilote automatique’ dans lequel je me trouvais depuis le décès. Ces moments partagés n’enlevaient rien à ma peine, ils m’aidaient juste à mieux la supporter. C’est aussi ce qui m’a aidé à entamer une thérapie« , confie-t-elle.


Une recherche compulsive du bien-être 

Parfois, le bien-être procuré par le sexe devient la principale source de soulagement. “La pulsion sexuelle vient en réponse à cette tension intérieure. Elle demande à être accueillie en tant que telle. Depuis le décès, le corps a été négligé; il se languit d’être touché, embrassé, enlacé. Il a besoin d’être apaisé par un toucher tendre et amical.”, développe Christophe Fauré. 

Au cours des trois années suivant la perte de son mari, Marlène, 36 ans, a eu une trentaine de partenaires sexuels. Elle explique : « J’avais vraiment besoin de ces moments d’évasion pour me détendre. D’ailleurs, le désir était particulièrement intense en période d’angoisse. Si j’éprouvais cette envie, je cherchais à la satisfaire le plus rapidement possible. » Ce désir compulsif poussait Marlène à contacter jusqu’à trois hommes différents au cours d’une même semaine.

« La masturbation me permettait aussi d’accéder à cet état de détente en solitaire, sans dépendre d’un partenaire. Elle m’a énormément aidée dans les moments difficiles, lorsque mes angoisses m’empêchaient de dormir. », confie-t-elle.

Pour Emilie aussi, la masturbation a été le moyen de soulager ses pulsions. « Six mois après le décès de mon mari, j’ai senti le retour de cette libido. Cependant, après avoir partagé seize ans de ma vie avec un seul homme, je ne me sentais ni prête à m’engager dans une nouvelle relation, ni à avoir des rapports sexuels dénués de connexion émotionnelle. Heureusement, les sextoys et la masturbation m’ont apporté le soulagement dont j’avais besoin jusqu’à ce que je sois prête. », explique-t-elle. 

La honte et la culpabilité

« Bien souvent, ce désir sexuel soudain qui émerge juste après un événement profondément bouleversant est vécu comme déconcertant. Certaines femmes vont alors développer des croyances négatives à leur sujet. Elles s’imaginent que le retour de leur libido fait d’elles une mauvaise personne. », révèle Anne Blatier, spécialiste en psychothérapie et sexo-analyse. 

La sensation de bien-être que procure la relation sexuelle est alors souvent teintée de honte et de culpabilité.On est parfois très dérouté par ce qui monte en soi au cours de la deuxième étape du deuil. (…) Le corps réclame soudain tendresse, plaisir et jouissance… Ces pulsions déconcertent et sont souvent source d’une grande culpabilité”, confirme Christophe Fauré, dans son ouvrage. Emilie en témoigne : « J’ai mis du temps à accepter que cette envie soudaine de retrouver une vie sexuelle ne signifiait pas la fin de mon deuil. » Pour Marlène aussi, ce désir est vécu comme une trahison : « Pendant plusieurs mois, j’avais l’impression de tromper mon mari, même s’il n’était plus là. »

La thérapie pour redéfinir son rapport au désir

“Il est primordial pour ces femmes de rester indulgentes envers elles-mêmes. Le deuil n’est pas une expérience linéaire et chacun l’accueille à sa façon, parfois à travers des pulsions sexuelles comme seul réflexe de survie, ajoute Anne Blatier. Et lorsque cette image de soi est altérée par des croyances négatives, il est parfois nécessaire de consulter un professionnel pour la restaurer.

La sexualité au cours du deuil doit être réhabilitée. Elle a sa juste place et il est nécessaire d’être en phase avec ce qu’on souhaite vivre. Une relation de tendresse, incluant sexe et jouissance, peut faire partie des multiples façons de cheminer dans son deuil. Il faut négocier avec la culpabilité et redéfinir son rapport au désir en l’accueillant le plus sereinement possible, comme une marque de son humanité. Même si c’est parfois difficile, il faut essayer, autant que possible, de ne pas se laisser envahir ni paralyser par la culpabilité”, précise Christophe Fauré dans “Vivre le deuil au jour le jour”

C’est après trois années de relations éphémères que Marlène se décidera à consulter cette sexologue spécialisée en EMDR. “Pour permettre à Marlène de s’ouvrir à une nouvelle relation, nous avons entamé un travail sur les croyances négatives profondément ancrées par la culpabilité afin de les déconstruire et d’accueillir de façon plus apaisée son désir », explique Anne Blatier. 


Le regard critique de l’entourage

« L’image traditionnelle d’une personne en deuil ne correspond pas à l’idée qu’elle puisse ressentir du désir sexuel. Le deuil est souvent perçu comme une période de tristesse, d’introspection et de réserve.« , souligne Anne Blatier. Ainsi, lorsqu’une femme exprime ce besoin après la perte de son conjoint, elle se heurte souvent à l’incompréhension de son entourage.

Quand Marlène évoque le désir de rencontrer quelqu’un après la perte de son mari, elle le fait avec humour. « J’ai plaisanté avec mes amis en disant qu’ils risquaient de me croiser sur une application de rencontres. Certains m’ont répondu que ce n’était pas le moment et que j’avais d’autres préoccupations.” Face à si peu de soutien de la part de ses proches, Marlène préféra garder le secret. Hormis ses plus proches amies, personne ne saura rien de ses rencontres d’un soir pendant plus d’un an et demi. 

Au travail, Jennifer fait également l’expérience de ce type de commentaires. “Ma nouvelle relation était jugée « trop rapide » après le décès de mon mari par certaines de mes collègues.” 

L’importance de rester vigilant envers soi-même et l’autre

Malgré tout, certaines femmes, comme Marlène et Jennifer se sont autorisées à la vivre. Finalement, le plus important reste d’être vigilant envers soi-même et l’autre, notamment lorsque le sentiment amoureux n’est pas la base de la relation. 

“Lorsque le but est simplement l’apaisement physique, il est bon, alors, d’être le plus honnête possible avec son ou sa partenaire sur ce que l’on recherche vraiment. En effet, cette personne peut éventuellement tomber amoureuse ou s’attacher, si la relation perdure, alors que soi-même on se sent incapable de répondre à de telles attentes. Un échange sincère s’impose, afin de ne blesser personne.”, encourage le psychiatre dans son livre.

Tout en ajoutant : “L’autre piège est de tomber amoureux dès les premiers instants d’intimité. Bien sûr, c’est possible. Je suis parfois le témoin de très belles histoires d’amour qui s’initient très vite après le décès du conjoint et qui s’installent de façon durable. Rien n’est écrit dans le marbre dans le vécu du deuil ! Mais il faut bien comprendre que ce mouvement n’est souvent qu’une tentative inconsciente. Il permet de fuir la souffrance du deuil en tentant de la court-circuiter par un élan amoureux.” 

À lire aussi :


Deuil d’un conjoint