Valérie Brüggemann, psycho-practicienne spécialiste du deuil et plus particulièrement celui des frères et sœurs, nous éclaire sur ce deuil si particulier dont on parle trop peu.
Quelles sont les spécificités du deuil d’une sœur ou d’un frère ?
Un deuil multiple
La mort d’un frère ou d’une sœur est un deuil multiple. En effet, l’endeuillé perd un compagnon de vie et un.e rivale ou au contraire, un.e ami.e. « Dans le cadre du deuil d’un frère ou d’une sœur, on doit aussi faire le deuil de ses « parents d’avant ». La maison familiale n’est plus un endroit de ressources. Partager un deuil en famille implique de voir ses parents en larmes et inversement. Et parfois, on n’ose pas exprimer sa peine de peur d’en rajouter et de ce fait de les protéger. »
Un deuil différé
La douleur de la perte peut se réveiller des années après le décès, suite à un nouveau deuil. Valérie Brüggemann reçoit en groupe de parole et dans son cabinet, des frères et des sœurs qui ont perdu un membre de leur fratrie. Le deuil peut dater de plus de dix ou vingt ans plus tôt. Généralement, ils consultent car un événement, triste ou joyeux, a réveillé un sentiment de grande tristesse profondément enfoui.
Il peut s’agir du décès d’un animal. « J’ai reçu une sœur qui avait perdu un membre de sa fratrie il y a plus 40 ans. Et c’est la mort de son chat, avec qui elle avait vécu presque vingt ans qui a été le déclencheur du chagrin retenu suite à la mort de son frère. »
À l’inverse, il peut aussi s’agir d’un événement joyeux, qui donne normalement lieu à des réjouissances, comme une naissance par exemple. « J’ai accompagné un homme qui, suite à la naissance de son deuxième enfant, est tombé en dépression. Cette naissance le renvoyait directement à son enfance. Le deuxième enfant était décédé. »
Ce deuil différé peut donner lieu à des burn-out, une dépression ou à un chagrin inexprimé. Il est donc important de le prendre en charge rapidement.
Un deuil non reconnu
Malgré ses spécificités, le deuil d’un frère ou d’une sœur peut faire partie des deuils non reconnu. « Dans l’inconscient collectif, la douleur de la mère lors de la perte d’un enfant est supérieure à celle des autres membres de la famille. À cause de ce phénomène social, le deuil des frères et sœurs est mis à la marge comme d’autres deuils tels que celui d’un grand-parent qui perd son petit-enfant. » Ce manque de reconnaissance affecte beaucoup les endeuillés.
Pour faire face, l’endeuillé frère ou sœur, peut adopter deux grands types de comportements.
- L’endeuillé opère une sur-adaptation. « Il va tout mettre en place pour décharger ses parents afin de ne pas ajouter de la peine à leur peine. Il peut devenir presque transparent pour se faire oublier ou encore prendre particulièrement en charge ses parents. »
- À l’inverse, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant, il peut adopter un comportement inadapté, jusqu’à nécessiter un soutien psychologique ou médical pour s’exprimer. « Chez les adolescents, cela peut se traduire par une violence contre les autres ou bien contre soi-même avec des conduites à risque. »
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Comment se caractérise le deuil d’une sœur ou d’un frère ?
L’amputation d’un membre
La perte d’un frère ou d’une sœur peut s’apparenter à l’absence d’un membre. « Souvent, les frères ou sœurs en deuil se sentent comme amputés, car le défunt appartenait à la cellule familiale. Lorsqu’un membre de la famille manque, tout le système se met en déséquilibre. »
L’absorption des caractéristiques du défunt
Suite au décès d’un frère ou d’une sœur, il peut arriver que le frère ou la soeur survivant.e se mette à adopter des comportements, rêves ou désirs identiques à ceux du défunt.
« Il peut adopter le look vestimentaire de son frère ou de sa sœur défunt.e, voire porter les habits du défunt. Autre exemple, il est possible qu’une sœur souhaite poursuivre les mêmes études qu’un frère décédé ou qu’elle s’engage dans une relation amoureuse avec son meilleur ami. » Ces éléments constituent la preuve d’une recherche inconsciente pour se rapprocher du défunt.
L’effacement
On peut aussi constater chez les frères et sœurs survivants de la fratrie un « effacement ». Généralement, celui-ci est opéré pour laisser les parents traverser leur deuil. Ce processus participe notamment à faire du deuil d’un frère ou d’une sœur un deuil différé. En effet, « lorsque les parents semblent « aller mieux », le frère ou la sœur va alors libérer son chagrin, sous forme de crise ou de dépression par exemple ou tout simplement entrer dans le processus de deuil. »
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Quelle différence lorsque l’on perd un frère ou une sœur en tant qu’enfant ou adulte ?
Le deuil d’un frère ou d’une sœur n’est pas vécu de la même façon en tant qu’enfant ou adulte. Les deux principales raisons sont les suivantes :
- L’adulte ne vit plus au sein du foyer familial. Il n’a donc pas à composer avec ce qui se passe à la maison.
- En tant que collégien ou lycéen, l’endeuillé trouve davantage de ressources extérieures.
- Enfant ou adolescent, la perte d’un membre de la fratrie correspond aussi à la perte d’un futur possible. « Le frère ou la sœur en deuil perd aussi son témoin de vie future, un potentiel parrain ou marraine pour ses futurs enfants, un confident avec qui partager les choses de la vie de famille. »
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Y a-t-il des points de vigilance à avoir ?
Le deuil est à considérer comme un processus unique, que chacun aborde à sa façon. Toutefois, certaines similitudes de comportements peuvent être observées suite au deuil d’un frère ou d’une sœur, quelle que soit la relation au défunt. Il peut s’agir de comportements à risque comme une consommation d’alcool excessive et soudaine ou de substances illicites ou encore de scarifications.
Les dates anniversaire, qu’il s’agisse de la naissance ou du décès sont aussi des points de vigilance. Ce sont des périodes qui peuvent faire survenir des angoisses et un profond mal être souvent dissimulé. « Une sœur jeune maman était malade le jour de Pâques depuis plusieurs années de suite. En réalité, cette période lui rappelait le douloureux moment du décès de son frère, un dimanche de Pâques. Après avoir mis en lumière cette périodicité sensible, cela lui a permis de mieux pouvoir appréhender les fêtes de Pâques. »
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Comment soutenir une personne en deuil suite au décès de sa sœur ou son frère ?
« La meilleure chose que vous pouvez dire à un endeuillé qui a perdu un membre de sa fratrie, c’est : « raconte moi ton frère ou ta sœur » », explique Valérie. Recevoir sa parole et s’intéresser à celui ou celle qu’il ou elle a perdu est la meilleure manière de lui apporter du soutien. Vous pouvez ainsi poser des questions telles que « Qui était-il/elle pour toi ? », « Partagiez-vous des passions en commun ? », « Comment le fais-tu vivre dans ta vie depuis son départ ? »… Autant d’invitations à faire vivre sa mémoire à travers le temps.
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