Pourquoi les enfants sont-ils encore exclus des rituels funéraires ?


Alors que je m’apprête à témoigner sur le plateau de la Maison des maternelles (rdv en direct jeudi 4 mars à 9h sur France 4) sur la thématique : « Comment parler de la mort aux enfants ? », je vous partage l’étude que j’ai menée dans le cadre de l’écriture de mon livre jeunesse Adieu, monsieur Crabe. Cette étude intitulée « La place des enfants dans les rituels funéraires » a été réalisée en mars 2020 auprès des parents de 166 enfants. Elle montre qu’ils sont encore régulièrement exclus des rituels funéraires.

« Je l’ai tenu à l’écart pour le protéger. Avec du recul, je le regrette. »

 

Les rituels funéraires sont des temps collectifs très important pour le deuil. La crise du Covid nous le montre malheureusement bien. Accompagner nos morts jusqu’au bout, rendre hommage à la personne sont des rites inscrits dans l’histoire de notre humanité. Alors pourquoi avoir si peur d’associer les enfants ? Pourquoi est-ce si difficile de leur parler de la mort ?

La place des enfants dans les rituels funéraires : les principaux résultats de l’étude

Quelques données : 166 enfants, âgés de 0 à 18 ans (médiane de 7 ans et moyenne de 6 ans et demi) et 115 défunts âgés de 0 à 96 ans. 21% des enfants de l’étude ont perdu un parent, 24% un frère ou une soeur, 21% un grand-parent.

Les 3 principaux rituels funéraires pris en compte dans l’étude sont :

  • La visite au défunt,
  • La cérémonie,
  • La mise en terre/départ du cercueil pour l’incinération.

Il a été proposé à 46% des enfants de visiter le défunt. Les motifs évoqués lorsque cela n’a pas été proposé sont : le corps du défunt est trop abimé, le contexte ne le permet pas, l’enfant est considéré trop jeune, l’adulte craint que ce moment soit traumatisant ou que l’image du défunt ne remplace celle de la personne vivante, l’adulte attend que la demande vienne de l’enfant, l’enfant a un faible lien de proximité avec le défunt ou encore l’enfant a vu le défunt la veille de sa mort.

71% des enfants ont assisté à la cérémonie d’enterrement et 54% ont assisté à la mise en terre ou au départ vers l’incinérateur du cercueil. Comme précédemment, l’enfant considéré trop jeune ou l’adulte craint que ce moment soit traumatisant ont été évoqués. Les autres raisons citées pour leur absence sont : l’adulte ne se sent pas disponible émotionnellement pour l’enfant, la crainte des réactions de l’enfant, la cérémonie jugée trop longue, l’impossibilité pour l’ensemble du cortège d’y assister ou le refus de l’enfant.

20% des enfants n’ont pu assister à aucun des rituels. Parmi eux, 79% sont âgés de plus de 2 ans.

31% des enfants ont eu la possibilité d’assister aux 3 rituels. Le vécu de l’adulte est alors positif dans 90% des cas. Les témoignages sont alors univoques : la présence de l’enfant est décrite comme « indispensable », « essentielle », « bénéfique », « normale et légitime », « très naturelle », « apaisante » ou encore comme un « rayon de soleil ».

« J’ai eu le sentiment de ne pas lui voler ces moments précieux, ensemble on est bien plus fort. »

 

Parmi les enfants ayant eu la possibilité de voir le défunt MAIS n’ayant pas assisté à la suite des rituels (13% d’entre eux), les motifs évoqués sont également : l’adulte ne se sent pas disponible émotionnellement pour l’enfant, le refus de l’enfant, la cérémonie jugée trop longue ou encore l’adulte attend que la demande vienne de l’enfant.

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Alors pourquoi exclure les enfants des rituels ?

Alors pourquoi exclure les enfants des rituels ? L’âge de l’enfant ou la peur que cela soit traumatisant sont souvent évoqués. Cela part d’une bonne intention: celle de protéger l’enfant. Quel parent ne voudrait pas protéger son enfant ? Toutefois, lorsque la mort survient, elle fait partie à part entière de l’histoire de l’enfant. Rester unis, avec son enfant, face à l’épreuve n’est-elle pas alors un enseignement sacré et le début du chemin de consolation ?

On peut constater qu’une franche majorité des enfants assiste à l’enterrement, mais peu d’entre eux assistent à l’ensemble des rituels funéraires. Quelle compréhension ont-ils alors de ce que l’on « met » dans le cercueil s’ils n’ont jamais été confronté avant à la mort ? Et quelle compréhension globale et concrète de nos rites leur propose-t-on ?

Et puis, pour 20% des enfants, il n’y a aucun rituel. Comment ne pas assimiler la mort à une disparition et chercher partout le défunt ? Ne pas penser que les adultes cachent quelque chose ? Comment éviter un vécu de rejet (et la culpabilisation qui en est le corollaire) chez l’enfant qui sait – ou qui sent – qu’il a été privé de quelque chose ?

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Il n’y a pas d’âge pour parler de la mort aux enfants

Il n’y a pas d’âge pour parler de la mort aux enfants, ni de recette miracle. La seule ligne à tenir est celle de la sincérité : oser dire (sans se cacher derrière des expressions telles que : « il est parti en voyage », « il s’est endormi »), oser partager nos doutes, nos questionnements, oser vivre en se sachant mortel, et oser vivre les moments douloureux avec nos enfants. Je crois que l’on peut vraiment leur faire confiance. Ils sont de vrais alchimistes, de vrais maîtres. L’instant présent n’a pas de secret pour eux. Il savent passer du rire aux larmes. Ils savent remettre de la vie au cœur du tsunami que peut provoquer la perte d’un être aimé. Ils nous montrent le chemin de la résilience, encore faut-il savoir les écouter et se mettre à leur hauteur.

Bien sûr, chaque situation est unique et ne saurait se résumer à ces chiffres. Mon point n’est pas de dire qu’il « faudrait » à tout prix les intégrer. Car il y a des situations où il peut être préférable qu’ils soient absents, notamment s’il n’y a aucun adulte disponible pour eux, ou s’ils le refusent tout simplement. Mon point est surtout d’encourager les adultes à se dire « Et pourquoi pas ? ». De se questionner réellement : « dans le fond, de quoi ai-je peur ? » Car en identifiant nos propres peurs, nous limitons nos projections sur l’enfant. L’enfant, lui, a un regard sur la mort totalement neutre et dépendant de ce qu’on va lui transmettre. Il n’a pas d’à priori.

En cas d’absence de l’enfant, l’adulte peut toujours lui en expliquer les raisons, puis l’associer de manière symbolique (mettre un dessin dans le cercueil, choisir une chanson pour la cérémonie, etc). Ainsi, présent physiquement ou non, aucun enfant ne doit plus être exclu de ces moments forts de vie.

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Et Adieu, Monsieur Crabe ?

Le livre Adieu, monsieur Crabe est inspiré de ma propre histoire. Lorsque mon frère est décédé subitement en 2017, mon fils avait 2 ans et demi. J’ai alors réalisé combien il peut être difficile de trouver les mots justes, les mots adaptés à un tout petit. C’est le souvenir d’un crabe, trouvé mort sur la plage quelques mois auparavant, qui m’a aidé à expliquer et à préparer sa venue au funérarium. J’ai alors pu constater qu’il n’est plus d’usage, dans notre société, d’emmener un jeune enfant voir un mort. Il m’a fallu prendre confiance et faire confiance. Cela a permis à mon fils, de venir dire un dernier adieu à son tonton chéri.

Adieu, monsieur Crabe est maintenant prêt à prendre son envol ! Un garçon y organise, avec la complicité de sa maman, des funérailles pour son ami Crabe. Le conte est accessible dès 2 ans et est complété d’une partie documentaire pour répondre aux questions des plus grands (à partir de 4 ans). Il lui est également associé une fiche pratique pour aider les adultes à mieux comprendre la représentation de la mort chez les enfants. Puisse-t-il permettre d’inclure davantage les enfants dans les rituels funéraires et aider à parler de la mort en famille ! Il ne lui manque plus qu’à trouver sa maison d’édition et à être mis en images.

« Maman, Paul il n’est pas mort parce que je le sens bouger dans mon cœur. »

 

Et vous, quel souvenir gardez vous de ces rituels vécus enfant ?

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