La fausse couche est une interruption de grossesse spontanée qui fait encore partie des sujets tabous. Pourtant, elle concerne environ 20 % des grossesses, à savoir une grossesse sur cinq.
Cette invisibilisation autour du sujet peut rendre encore plus difficile le deuil de ce bébé tant attendu. Jessica Shulz, docteur en psychologie, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée en périnatalité, nous aide à mieux comprendre les difficultés qui entourent ce deuil si particulier.
Un processus de deuil difficile
C’est la perte d’une personne que l’on n’a pas connu
La perte d’un fœtus n’est pas une mort comme une autre. Elle entraîne un travail de deuil singulier pour les parents. Quand on perd un proche, le processus consiste à transformer un lien existant en un lien intérieur, à transformer la relation en une place inédite, sous forme de souvenirs, d’émotions, de gratitude. Quand on perd un bébé lors d’une grossesse, le processus ne peut pas se faire de la même façon, car cet enfant n’a pas été rencontré.
Un deuil qui touche dans le corps
Pour les mères endeuillées, ce drame peut être vécu avec beaucoup de violence en fonction des circonstances de la perte et de ses attentes de future maman. Les femmes victimes de fausse couche sont touchées dans leur corps, ce qui peut parfois affecter la manière dont elles envisagent leurs autres grossesses. “Certaines femmes ont besoin de temps pour se reconstruire tandis que d’autres ressentent une urgence vitale de démarrer une nouvelle grossesse”, confirme la psychologue Jessica Shulz.
Un deuil des futurs projets
Pour les parents en devenir, c’est aussi, faire le deuil de toute une projection du futur, mais également, quand il s’agit du premier enfant, de leur statut de parent. Le couple peut traverser une période de flottement par rapport à son identité de parent et de ses projets de famille qui sont mis en suspens.
Un deuil non reconnu
Les sentiments de honte et de culpabilité, qui suit une interruption spontanée de grossesse, amènent souvent les parents à s’isoler. Elle fait partie des deuils non reconnus, non légitimés. Les parents endeuillés peuvent craindre de voir leur peine minimisée par leur entourage pour qui cet enfant restera un inconnu social. “La tendance au repli sur soi est plus importante que dans un deuil classique. Les parents vivent un clivage entre ce qu’ils ressentent, ce qu’ils sont en train de vivre et l’image qu’ils doivent donner d’eux même”, précise la spécialiste.
L’impact de la fausse couche sur le couple
Même si le père ne vit pas physiquement le décès de l’enfant, il est important de lui permettre d’exprimer sa peine, de lui faire comprendre qu’il a le droit d’être triste, car lui aussi a perdu cet enfant. Il peut éprouver de la tristesse, de la colère, un grand sentiment d’impuissance ou encore de la culpabilité qui méritent d’être partagés.
Au sein du couple, le deuil peut être vécu dans des temporalités différentes. Jessica Shulz observe que “ dans un premier temps, les femmes expriment davantage leur souffrance alors que les hommes ont tendance à se mettre en position de protection. Cela évolue ensuite, lorsque la femme commence à aller mieux, le partenaire peut alors parfois exprimer davantage sa peine”.
Les hommes sont souvent plus pudiques sur leurs sentiments. Ils évacuent leurs émotions différemment, à travers l’action : le travail, le sport, le bricolage… Inutile de vouloir les forcer à parler. En tant que compagne, on peut être tentée de le pousser à verbaliser alors qu’il n’en ressent pas toujours le besoin.
La compréhension de l’autre est alors primordiale pour traverser ce deuil ensemble.
Parler de sa fausse couche à son enfant
Pour les couples qui ont déjà eu un premier enfant, il est important de lui expliquer la situation avec la plus grande honnêteté possible. On peut être tenté de lui cacher la vérité puisqu’il n’a pas connu son petit frère ou sa petite sœur en pensant ainsi le préserver. Mais les enfants comprennent souvent bien mieux les choses que ce que l’on pense. Les enfants sont très sensibles à l’état émotionnel de leurs parents. Il peut être important de partager avec lui la nouvelle, en adaptant la manière d’annoncer la perte et les mots choisis devront être adaptés à l’âge de l’enfant.
Face à la peine de ses parents, l’enfant peut penser qu’il y est pour quelque chose et ressentir une grande culpabilité. “Les enfants ont ce qu’on appelle une pensée magique. Ils imaginent que ce qu’ils pensent se réalise. Si la grossesse s’arrête, ils peuvent se dire : “c’est parce que j’ai pensé des mauvaises choses de mon petit frère/de ma petite sœur”.”, explique la psychologue Jessica Shulz. Pour le rassurer, il est bon de lui signifier qu’il n’est pas responsable de la mort du bébé, ni de votre tristesse.
Le rôle des parents est de rester à l’écoute des questionnements de leur enfant, d’autant plus qu’il s’agit pour lui d’une perte encore plus difficile à saisir du fait qu’il n’a jamais rencontré ce bébé. Pour lui, comment comprendre qu’il n’est plus là puisqu’il ne l’a jamais été ?
Pouvoir dire au revoir à son bébé
Une interruption spontanée de grossesse ne donne pas systématiquement lieu à des obsèques. Les parents peuvent choisir d’organiser un rituel lorsque cela fait sens pour dire au revoir à leur bébé.
Planter un arbre, allumer une bougie, organiser un moment collectif, il existe de nombreuses manières de rendre hommage à son enfant décédé. “Pour les parents, ces gestes d’hommage permettent de donner une place à ce bébé et de le faire exister. Ces rituels peuvent contribuer à mieux traverser le deuil.”, confie la psychologue. Certaines associations spécialisées organisent aussi des temps collectifs auxquels participer. On peut facilement y associer les autres enfants ou membres de la famille.
Pour donner une place à l’enfant dans la vie des parents endeuillés, l’association Par’anges propose des certificats de naissance d’ange personnalisés. Ces derniers peuvent donner un nom au bébé et lui attribuer un genre s’ils le désirent.
Trouver du soutien suite à une fausse couche
Autorisez-vous à partager votre peine avec vos proches si vous vous sentez prêts et surtout si vous en ressentez le besoin.
Vous pouvez aussi vous rapprocher d’associations spécialisées dans le deuil d’un bébé. Elles proposent des rendez-vous individuels ou une participation à un groupe de parole qui vous permettront de partager votre vécu avec d’autres parents endeuillés. L’association AGAPA organise par exemple dans toute la France des cafés-rencontres animés par des accompagnants spécialisés. Vous avez également la possibilité de vous faire aider par des thérapeutes seul ou en couple.
Pour accéder à des ressources supplémentaires et à une liste de thérapeutes spécialisé·e·s dans le deuil, effectuez notre parcours « Je vis un deuil ».
Accompagner des proches en deuil
Le soutien de l’entourage, comme pour n’importe quel deuil, joue “un rôle essentiel dans la reconstruction de l’endeuillé”. Il est néanmoins important d’accepter que les parents ne souhaitent pas s’épancher sur l’épreuve qu’ils ont traversée. Parfois une simple présence et partager des activités sans aborder le sujet suffit à être aidant. Enfin, s’il est trop difficile pour vous d’aider une personne en deuil, car vous avez vous-même perdu un bébé durant la grossesse, osez l’exprimer.
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