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Le féminicide est une mort intentionnelle et particulièrement violente qui aurait pu être évitée. De ce fait, les proches de la victime ne traversent pas leur deuil de la même façon. Hélène Romano, spécialiste des deuils traumatiques, nous explique les spécificités du deuil suite à un féminicide.

Quelles sont les spécificités du deuil après un féminicide ? 

Une grande culpabilité

Sauf rare exception, les féminicides interviennent généralement après plusieurs mois voire plusieurs années de violences conjugales. “L’acte est rarement perpétué au lendemain d’une mise en couple. Il y a d’abord un temps de séduction, où le conjoint se rend indispensable.”, confirme Hélène Romano.

Les femmes ne prennent pas toujours la parole pour dénoncer le comportement abusif dont elles sont la cible. Lorsque les proches tentent de lui venir en aide mais que le drame survient quand même, la mort est extrêmement culpabilisante. Toutefois, il y a eu volonté de faire. Cette situation est à distinguer de celle où la victime aurait refusé leur aide. Dans ce type de cas, l’entourage a l’impression de ne pas avoir réussi à accomplir son devoir de protection. Il y a une forme d’échec insupportable qui génère beaucoup de culpabilité.

Le cas du conjoint meurtrier

Il arrive qu’une femme soit d’abord portée disparue et que l’auteur du féminicide se positionne en victime durant l’enquête. Il peut s’agir par exemple du conjoint, qui va pleurer avec son entourage, participer aux opérations de recherches et même prendre la parole dans la presse.Suite à la disparition d’Alexia Daval, c’est son conjoint qui a lancé l’alerte. Pour les parents de la jeune femme, son comportement n’avait rien à voir avec celui d’un coupable. C’était un homme doux et gentil. Puis, quand l’enquête a statué sur sa culpabilité, ils se sont sentis abusés, leurrés et trahis.”, raconte Hélène Romano.

En effet, dans la plupart des cas de féminicide perpétué par le conjoint, il s’agit rarement d’un homme désagréable.Les conjoints meurtriers sont des individus à deux visages, qui ne se présentent pas de la même façon dans la sphère publique et au foyer. Et lorsque les violences conjugales sont révélées ou que le féminicide a lieu, il y a une confusion terrible pour les proches.”, confirme la psychologue. “Le conjoint est considéré comme un membre à part entière de la famille. Son geste génère un grand sentiment d’insécurité chez l’entourage de la victime. Et psychiquement, le deuil est beaucoup plus difficile à surmonter.

Nettoyer la scène de crime, la double peine

Mis en place le 25 avril 2022, un décret prévoit que certains crimes commis dans une habitation, soient nettoyés par une société spécialisée, afin d’éviter une charge émotionnelle supplémentaire à la famille de la victime. Il prévoit également le remboursement du nettoyage.

Dans les faits, ce droit est souvent méconnu des proches qui se chargent eux même de faire disparaître chaque trace laissée par le drame, une épreuve qui traumatise encore davantage l’endeuillé. 

Un deuil médiatique qui dépossède les proches

La presse s’empare souvent de ces drames et en décortique les moindres détails. Pour les proches, le deuil devient médiatique. Si dans certaines situations, la médiatisation apporte un soutien, elle peut aussi transformer le vécu traumatique en un “spectacle.

Les parents d’Alexia Daval ont très bien exprimé cette problématique. Dans un premier temps, le recours aux médias a été essentiel pour étendre l’avis de recherche. Mais cette communication est à double tranchant. La médiatisation est rapidement devenue insupportable. Des gens venaient prendre en photo leur bar et la maison de leur fille.

Le deuil médiatique est très intrusif. Il est généralement aux antipodes des besoins des endeuillés, qui préféreraient se sentir en sécurité et respectés. “Le décès de la sœur d’une de mes patientes a été très médiatisé. Sa photo était régulièrement mise en avant sur les plateaux de télévision. Elle s’est sentie complètement dépossédée de sa perte.

Suite à cette médiatisation, d’autres intrusions peuvent aussi surgir sur les réseaux sociaux, avec des accusations violentes. “J’ai eu en consultation des proches d’une victime qui ont reçu des insultes comme ‘comment vous pouviez ne pas être au courant ?’, ‘C’est de votre faute’.”

Le procès, source de réactivation du deuil

Après le décès, les obsèques marquent le début du processus de deuil. L’endeuillé doit apprendre à vivre dans cette nouvelle réalité sans son proche. Toutefois, dans les cas de mort criminelle, le procès vient systématiquement compliquer cette phase de guérison.

Le féminicide est une mort criminelle, qui implique le déroulement d’une procédure longue, éprouvante et source de réactivation constante pour l’entourage en deuil.”, explique Hélène Romano. Les proches sont exposés à la perte à chaque nouvelle audience. Ils sont confrontés au récit du meurtre à de multiples reprises et à des images choquantes qui viennent raviver la douleur.

Un procès veut également dire que l’entourage doit faire face à beaucoup d’intrusions. Les forces de l’ordre vont saisir des albums photos ou fouiller les téléphones portables pour lire les messages.” Ces procédures sont essentielles au bon déroulement de l’enquête mais peuvent être vécues très violemment.

Un manque de suivi psychologique proposé par la justice

En France, il existe une triste réalité : quasi aucun suivi psychologique n’est proposé suite à un deuil traumatique.

Lorsqu’une mort violente est signalée, le SAMU intervient généralement accompagné d’un psychologue qui offre une écoute parfois directement sur la scène du crime.”, confie la spécialiste. Par la suite, seul un court suivi de quelques semaines est maintenu jusqu’aux obsèques.

Ce manque d’accompagnement n’est pas sans impact sur les proches de la victime. En effet, si certains sont profondément choqués par la violence du décès, d’autres ont, en prime, assisté à la scène ou découvert le corps.

De nombreuses études confirment que le suivi psychologique n’est pas une obligation lors d’un deuil. Ce n’est pas une maladie mais une souffrance psychique. Ainsi, certains endeuillés arrivent à la dépasser et à apprivoiser l’absence de leur proche. Mais dans certains cas, comme celui des deuils traumatiques, il est plus compliqué de puiser dans ses ressources., regrette Hélène Romano. Les endeuillés peuvent faire l’objet de crises de panique, d’un grand sentiment d’insécurité et développer des troubles post-traumatiques. « Face à cette situation, proposer un accompagnement sur la durée permettait d’éviter des complications. »

Lire aussi : Deuil : quels accompagnements possible ?

Apporter de l’aide à un proche en deuil suite à un féminicide

Suite au décès, votre proche peut exprimer le besoin de parler du drame, d’aborder d’autres sujets pour trouver un peu d’apaisement ou au contraire se murer totalement dans le silence. “Il est essentiel de garder à l’esprit que ce qui est bon pour vous n’est pas forcément bon pour l’endeuillé.”, explique la spécialiste des deuils traumatiques.

Dès le décès et jusqu’aux obsèques, les endeuillés sont étouffés par beaucoup d’attention et de bienveillance. Toutefois, après quelques mois, ils manifestent souvent le sentiment d’être rejetés par la société car ils « rappellent » le drame. “Dans cette période, ils ont plus que besoin d’entendre que vous êtes là et qu’ils peuvent compter sur vous.N’hésitez pas à leur dire ou à leur écrire. C’est précieux.

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