Stéphanie, de confession juive, a choisi de rejoindre il y a 7 ans la Hevra Kadicha, la Sainte Assemblée qui prépare les corps des défunts juifs. Cette tâche est considérée comme une « mitsvah », un acte de bonté humaine à réaliser au cours de sa vie. Voici son témoignage sur cette mission pour laquelle elle s’est engagée à vie.
La Hevra Kadicha, cette Sainte Assemblée
Pendre soin des morts, c’est une histoire de famille. Cette fonction fait partie des grandes “mitsvah” pour les Juifs, les actions nobles à réaliser au cours de sa vie. Mon grand-père, mon oncle et ma tante, tous font partie de la Hevra Kadicha. Cette Sainte Assemblée se charge de préparer le corps et l’âme du défunt pour l’accompagner dans sa dernière demeure terrestre.
Une tradition qui se transmet de génération en génération
C’est une tradition qui se transmet oralement depuis des générations. Les personnes de la Hevra Kadicha sont très discrètes dans la sphère publique. Personnellement j’ai toujours eu une appétence pour la mort. Petite, je posais beaucoup de questions à ma tante sur le sujet. Et donc, lorsque le rabbin de ma communauté à Valence a invité toutes les bonnes volontés à rejoindre la Hevra Kadicha, je me suis tout de suite proposée. C’était une occasion exceptionnelle de venir en aide à la communauté. Il y a peu de familles juives dans ce coin de la France, et une seule communauté qui regroupe la Drôme et l’Ardèche. Or, les femmes de la Hevra Kadicha étaient toutes âgées et procéder à la toilette mortuaire devenait de plus en plus compliqué pour elles. Elles n’avaient plus la force de porter les corps. J’étais très heureuse de pouvoir être utile.
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La première fois que j’ai pris soin d’un défunt
La première fois que j’ai pris soin d’un défunt, il s’agissait d’une femme âgée, très frêle. C’était il y a sept ans. Trois autres femmes de la Hevra Kadicha étaient présentes. Elles ont commencé à s’occuper de la toilette de la défunte, mais moi je suis restée prostrée, écœurée par ce corps froid et rigide. J’avais besoin de calme et de silence. J’ai saisi le livre de prières pour les réciter. Pendant ce temps-là, les trois femmes déshabillaient la défunte, la nettoyaient avec minutie, lui enlevaient ses serviettes hygiéniques et tentaient de stopper les flux de selles. Cela m’arrangeait de m’occuper des prières.
J’ai compris que le respect n’était pas forcément dans le silence
Au moment d’enfiler la chemise à la défunte, un problème s’est présenté. Son bras avait été plié, au lieu d’être mis le long du corps, ce qui compliquait la tâche des femmes. Deux solutions s’offraient à elles : couper le vêtement avec les ciseaux ou parler à la femme décédée et lui demander de les aider. C’est ce qu’elles ont décidé de faire. À ma grande surprise, le bras s’est alors déplié. J’ai compris que le respect n’était pas forcément dans le silence, mais dans les gestes et dans le fait de dialoguer avec l’âme de la défunte. J’ai appris à mettre la solennité sur un autre plan. Toutes les étapes que l’on suit au cours de la toilette sont là pour nous aider à purifier le corps et à élever l’âme.
Je prends toujours un temps de silence et de recueillement au début de la toilette
La toilette mortuaire se déroule à la morgue de l’hôpital ou au centre des Pompes Funèbres et elle ne doit pas dépasser une heure, car la famille attend derrière la porte. Pour chaque toilette mortuaire, nous amenons une vieille valise en skaï marron annotée “Hevra Kaddicha”. À l’intérieur est rangé tout le matériel nécessaire pour la toilette : des serviettes blanches et des gants en éponge, du gel douche, du shampooing, de l’eau de Cologne du Mont Saint Michel, des grands ciseaux et un nécessaire de manucure, une brosse, des gants et des tabliers en plastique, des charlottes, des brocs d’eau, ainsi qu’un livre énonçant les différentes étapes du rituel à respecter. Je prends toujours un temps de silence et de recueillement au début, c’est important. Pour autant, je n’ai pas envie de rajouter du drame à ce moment, qui est déjà assez grave en lui-même.
Chaque personne demande pardon à l’âme et au corps de la défunte
Durant la toilette, on ne voit pas le visage de la défunte, il est caché par une cagoule. C’est une façon de se protéger émotionnellement. Lorsque le corps sort du frigo, on commence par retirer les pansements, nettoyer les plaies, et laver les selles. Parfois c’est impossible, parce que le corps est déjà trop abîmé. Ensuite, on lui coupe les ongles. En revanche, on ne maquille pas la défunte. À la fin de la toilette, on revêt la femme de son sargueness, le vêtement mortuaire traditionnel. Ensuite, chaque personne de la Hevra Kadicha saisit la main de la défunte et demande pardon à son âme et à son corps, au cas où elle ne l’aurait pas pleinement respectée, pendant sa vie, ou pendant la toilette. On place le corps dans le cercueil sur un grand drap blanc. Dans la tradition juive, par souci d’équité, le cercueil est très simple, très dépouillé : tout le monde a le même cercueil, peu importe que l’on soit riche ou pauvre.
Chaque membre de la famille demande pardon au défunt
La prière du Chema conclut la toilette. C’est une prière très importante pour les Juifs. On la récite tous les jours de sa vie, et lors du dernier souffle. Elle invite à l’alignement et l’élévation, à être en accord avec soi, le Ciel et la Terre. Puis, on invite la famille à entrer pour rendre un dernier hommage à leur proche décédée. On fait sortir la main de la défunte du drap, et chaque membre de la famille la prend, à tour de rôle, et récite une prière pour lui demander pardon. Pendant ce temps-là, nous, les femmes de la Hevra Kadicha, restons très discrètes.
J’ai ressenti le besoin de créer mes propres rituels
Pour mener à bien cette mission, j’ai ressenti le besoin de créer mes propres rituels. Les toilettes ont toujours lieu le soir. Quand je suis sur la route pour y aller, je mets de la musique que j’aime, souvent de la musique classique avec du piano. Et après la toilette, je continue de me connecter à l’âme du défunt. Dans la tradition juive, les familles endeuillées allument une veilleuse en mémoire de leur défunt, pendant une semaine, un mois ou un an, et souvent, je fais la même chose en rentrant chez moi. J’allume une bougie en souvenir de cette femme dont j’ai aidé l’âme à s’élever.
Je ne vois pas la mort comme une histoire triste
J’ai toujours eu un rapport sain à la mort. Je ne la vois pas comme une histoire triste. Pour moi, elle ne représente pas la fin d’une relation, ni une séparation, c’est juste un passage. Dans notre société, où le tabou de la mort est tenace, le sujet est sans cesse occulté. On évite à tout prix d’en parler. Pourtant, notre seule certitude est bien notre finitude. Quand il m’arrive d’évoquer mon rapport à la mort, cela suscite toujours des réactions. Je passe alors pour une personne suicidaire ou alors, une mystique. Lors de la toilette mortuaire, on sent le poids des traditions. Celle de la Hevra Kadicha, transmise de génération en génération, mais aussi toutes les traditions qui sont annulées, car la mort a pris plus de place et la Shoah a brûlé toute la mémoire du peuple Juif. À travers mon rôle dans la Hevra Kadicha, j’ai l’impression d’être un trait d’union entre ces traditions et ma communauté.
Honorer les morts permet de soutenir les vivants
Honorer les morts est une manière de soutenir les vivants et les aider à s’investir pleinement dans leur quotidien. Je considère que la mort nous permet d’être plus intensément vivants. Je suis heureuse de contribuer à perpétuer la tradition. J’ai accepté cette mission à vie et j’ai le souhait de continuer à l’honorer de mon mieux. En décembre dernier, ma tante m’a montré son propre sargueness. À son époque, il était offert dans le trousseau de la mariée. Je l’ai trouvé somptueux : brodé, et très travaillé avec des tissus noirs. Ma tante m’a promis qu’elle m’offrirait le même, Elle a mandaté une personne qui a cherché dans toute l’Europe pour me le trouver. Elle me l’a finalement offert à Hanoucca, c’était le plus beau cadeau dont je pouvais rêver.
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