Vous avez récemment écrit le livre « Nés sans vie », qu’est-ce qui vous a poussé à témoigner sur ce deuil suite à une IMG ?
J’avais tout d’abord besoin de « faire ma thérapie » à ma façon et de rendre hommage à mes bébés. Je voulais aussi prouver à mon entourage qu’ils ont bel et bien existé car certaines personnes font un peu comme si de rien n’était. J’avais besoin d’être mieux comprise, parce qu’on est métamorphosé par une expérience comme celle-ci ! On n’est plus « comme les autres « , on est à fleur de peau, nos émotions sont décuplées et peu de gens le comprennent… Il y a tellement à dire pour lever les tabous sur l’IMG et le deuil périnatal… J’avais l’impression que ça pouvait aussi aider des parents endeuillés. Je voulais, par ailleurs, montrer la place du père dans ces moments-là. Faire comprendre au personnel médical que l’empathie envers les patients est primordiale et pointer l’importance du dépistage génétique dès le moindre doute durant la grossesse. J’avais besoin de libérer la parole.
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Qu’est-ce qui vous a amenés à envisager une IMG ?
Chronologiquement, nous avons pris une première décision (IMG) pour notre petit garçon, lorsque nous avons appris qu’il était gravement malade : en plus de ces malformations cardiaque et rénale, il avait une hypoplasie du thymus et l’équipe médicale pensait qu’il ne se remettrait pas des opérations chirurgicales envisagées à la naissance… On nous a expliqué que « dans le cas où il s’en remettrait, il tomberait malade toute sa vie » car son système immunitaire était défaillant. Quant à notre petite fille, nous avons pris la décision finale plus tard, quand nous avons su qu’elle n’avait « que 10 % de chance de s’en sortir» (elle ne grandissait plus). J’ai moi-même été opérée du cœur, à la naissance, et je sais à quel point cela aurait été éprouvant pour eux. J’ai beaucoup souffert de mon « passé médical » et pour ma part, cela m’a aidée à faire ce choix difficile.
« Leurs vies auraient été un enfer »
Avez-vous beaucoup douté avant de prendre votre décision ?
Notre décision nous a semblé en quelque sorte plus « juste » lorsque nous avons reçu les résultats d’analyse qui indiquaient qu’ils avaient une maladie rare : le syndrome de Di George. Nous avons découvert alors que les médecins n’étaient pas capables de nous dire s’ils auraient encore plus de souffrances (et de handicaps) dans leur vie future (car certains symptômes peuvent se déclarer bien plus tard). La seule chose que l’on a su me dire, en gros, c’est » votre fille a 10 % de chance de s’en sortir correctement, par contre pour votre fils, cela sera encore plus difficile « . J’ai eu vite fait le calcul, « plus difficile que 10 % », ça voulait dire qu’il ne restait pas grand-chose… Avant même de venir au monde, nos bébés étaient donc beaucoup trop touchés par la maladie pour espérer avoir « une vie à peu près correcte ». Elle aurait été un enfer pour eux, mais également pour nous.
« Choisir une IMG est une preuve d’amour pour ses bébés »
Comment avez-vous géré le sentiment de culpabilité ?
Il est évident que nous n’avions pas du tout envie de nous séparer d’eux… Mais je dois vous avouer que notre amour a dépassé notre envie de les garder. J’ai vécu le plus grand ascenseur émotionnel de toute ma vie ! J’ai ressenti énormément de culpabilité, mais à la fois, j’ai toujours su que je faisais « le bon choix » pour eux… « L’instinct maternel » est bien présent, même dans le cas d’un deuil périnatal. Je crois que c’est important de ne pas « juger » ceux qui prennent la décision d’une I.M.G, car nous pouvons en témoigner, c’est une preuve d’amour pour ses bébés.
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Quelle était la place du papa pendant toute cette épreuve ?
Le papa a une place primordiale. Il est, malheureusement, trop souvent mis à l’écart. Les mères sont bien accompagnées, à condition de tomber sur les bonnes équipes médicales, mais pour ce qui est des pères, à part une simple consultation psychologique juste avant l’IMG, il n’y a aucun accompagnement mis en place ! Pourtant, on forme une « vraie » famille, malgré ce chemin de deuil.
Qu’est-ce qui vous aide à cheminer dans votre deuil suite à cette IMG ?
On avait besoin de se créer des souvenirs pour ne rien oublier, et pour apaiser notre peine. En chemin, nous avons donc inventé des rituels bien à nous. Plus tard, nous avons continué d’en créer. Par exemple, pour leur anniversaire, nous allons ensemble au cimetière déposer des fleurs. Pour la fête des mères, nous n’y allons pas, mais mon homme me fait des petits cadeaux pour me soutenir et pour me montrer qu’il n’oublie pas que je suis une maman. Je suis souvent déprimée ce jour là, et il me remonte le moral. Parfois, nous allons aussi au cimetière sans raison particulières. Cela m’arrive également d’y aller seule (sans le dire au papa). Et lui, y va parfois sans moi. Nous avons besoin de « faire notre deuil » ensemble, mais aussi, chacun de notre côté. Nos petits anges sont toujours dans nos têtes et cela ne changera jamais…
Deuil périnatal : ces rituels qui peuvent vous aider
Au cours de ce parcours, vous avez aussi appris que vous étiez atteinte du syndrome de Di George.
Je pense que, quelque part, « mes bébés m’ont sauvée ». Car en cours de route, nous avons découvert que je suis aussi porteuse de la maladie. Il y a des jours où la maladie se manifeste plus que d’autres. Mais depuis que je connais mon syndrome, ma prise en charge médicale est bien meilleure. De mon côté, j’écoute également mieux mon corps : je fais attention à mes gestes, au quotidien, pour éviter les douleurs. Je ne me prive pas pour autant de faire les choses que j’aime. La terrible épreuve que j’ai traversée m’a appris que la vie est courte et qu’il faut en profiter quoi qu’il arrive ! Alors, malgré les difficultés, je continue à exercer mes nombreuses passions : piano, guitare, tricot, écriture, pâtisserie. J’ai un besoin constant de créer des choses, cela me permet de prendre la vie du bon côté et de rester positive.
« Nous avons envie d’avoir un autre bébé »
Comment envisagez-vous l’avenir après ce deuil ?
Actuellement, je vais assez bien. Quant à l’avenir ? Je le vois plus serein, plus positif. Certes, je suis atteinte d’un syndrome incurable, peu connu, peu compris. Mais je me dis que si nous avons pu nous relever après cette IMG, alors nous pourrons tout affronter. Je me sens plus forte qu’avant, et prête à relever tous les défis de la vie ! Nous avons envie d’avoir un autre bébé. A cause de mon syndrome, nous devons passer par une « F.I.V D.P.I ». Nous avons déjà eu 3 échecs de F.I.V, c’est difficile moralement et physiquement, mais nous continuons à y croire. C’est le combat de toute une vie ! Bien sûr, j’ai une pointe d’inquiétude concernant l’évolution de ma maladie, mais je préfère ne pas y penser et me concentrer sur mes projets. En bref, profiter de la vie, avec les gens que j’aime ! L’avenir, je le vois plein d’espoir, et surtout plein d’amour avec mon homme, dans notre maison.
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Pour en savoir plus
Qu’est ce que la FIV avec DPI ?
–La FIV avec DPI a cela de singulier qu’elle est le seul cas légal pour lequel le recours à la FIV n’est pas dû aux pathologies classiques d’infertilité mais à la nécessité de pouvoir détecter directement sur l’embryon une maladie grave (impossible de le faire in vivo). A ne pas confondre avec le Diagnostic Prénatal qui permet de détecter sur le fœtus (in utero) des affections graves.
-Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est proposé aux couples qui risquent de transmettre à leur enfant une maladie génétique d’une particulière gravité au moment où la démarche de la FIV DPI est initiée. L’intérêt de cette technique est de pouvoir réaliser un diagnostic génétique sur un embryon – obtenu par fécondation in vitro – avant qu’il ne soit porté par la femme. Le couple peut alors débuter une grossesse avec un embryon non atteint (de la maladie recherchée). En France, cette technique est autorisée depuis 1999.
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