Si aujourd’hui, l’accompagnement de la fin de vie en chansons rythme les journées de Marie, ce n’était pas gagné d’avance. Enfant, Marie craignait beaucoup la mort. « À sept ans, j’avais très peur du temps qui passait et de perdre les gens que j’aimais ». C’est suite au décès de sa meilleure amie et de son amoureux qu’elle a ressenti le besoin de coucher ses émotions sur du papier. « J’écrivais tout ce que j’avais sur le cœur et presque naturellement, je me suis mise à chanter ».
Rapidement, Marie ressent le besoin de chanter non plus pour elle-même mais également pour les autres. « Je me rendais compte que je parvenais à débloquer certaines choses coincées avec l’écriture et la musique et je me suis mise en tête d’aider les gens à faire de même ». Marie organise alors des ateliers d’écriture en hôpitaux psychiatriques, en prison ou encore auprès d’enfants en difficultés. « J’aime écrire avec des personnes qui sont sur le fil », explique-t-elle. C’est il y a trois ans que Marie se lance dans une autre aventure Je me fais la belle, un projet profondément humain qui la mène aux domiciles de personnes en fin de vie pour écrire une chanson qui les raconte.
Je me fais la belle pour dire « je m’en vais » poétiquement
À travers ses discussions avec les soignants du Pôle de Santé des Envierges à Paris, Marie réalise le tabou qui persiste autour de la mort. « Ils parvenaient à discuter de la mort avec leurs patients mais avec beaucoup de difficultés. Avec mes chansons, je pouvais peut être les aider à aborder le sujet plus facilement ». L’aventure démarre alors avec deux médecins qui l’orientent vers des patients isolés, dont ils ressentent le besoin de s’exprimer, et Martine Marras, photographe, qui capture les moments passés à leurs côtés.
Lire aussi : Il faut en finir avec le tabou de la mort dans le milieu médical
Ce qu’il reste pour ceux qui restent
« Les premières séances, il faut que les personnes m’acceptent. Je dois les apprivoiser », explique Marie. Elle les invite à déposer ce qu’ils ont sur le cœur, à parler de la mort ou de leurs angoisses. Une fois un lien crée, les patients s’ouvrent peu à peu. « Après m’avoir parlé de la mort (ce qui en somme reste le plus difficile !), ils ont moins de mal à me raconter leur vie, des choses intimes et profondes », explique Marie.
Je me fais la belle consiste à se raconter pour s’offrir ces mots en cadeau ou pour laisser une trace de soi à un proche. Il s’agit de dire des choses qu’on n’a pas forcément su dire. Un pardon, une déclaration d’amour ou quelque chose de plus léger… « L’idée est de faire du bien à chaque personne qui va écouter la chanson », confie la chanteuse.
La chanson, un savant mélange entre Marie et sa muse
« J’essaie de trouver un axe différent pour chaque personne que j’accompagne, je n’influence ni sa manière de parler, ni son champ lexical. La chanson doit lui ressembler », explique Marie. Après chaque atelier, la chanteuse propose des paroles au patient puis ils en discutent ensemble. La chanson finale est le fruit d’un savant mélange entre ses mots à elle et ceux des participants. « J’avais prévu de me rendre chez chaque patient une à deux fois par mois mais j’y vais beaucoup plus que ça», confie Marie. Chaque année, Marie compose une à deux chansons avec chaque patient.
À lire : Art thérapie & deuil : un chemin vers l’apaisement
Des gens isolés qui n’ont pas l’habitude d’être entendus
La plupart des patients en fin de vie que Marie visite souffrent de solitude. « Ce sont généralement des gens isolés, brouillés avec leur famille, qui ne sont pas écoutés et surtout qui n’ont pas l’habitude d’être entendus ». Marie représente une oreille attentive qui leur manque beaucoup au quotidien.
Depuis peu, Je me fais la belle est également proposé à des personnes moins isolées. « Ces personnes ont l’habitude de voir du monde mais pas de parler de leur mort. La famille pense protéger la personne qui est en train de mourir, le médecin pense devoir préserver la famille etc. Au bout du compte, personne n’ose rentrer dans le vif du sujet. Or parler de leur mort, apaise leurs craintes.», explique Marie. Je me fais la belle permet également à des personnes qui, hospitalisées à cause du Covid-19, ont frôlé la mort en ayant peur de ne jamais pouvoir partager certaines choses avec leurs proches.
À écouter : Assis sur le bord, la chanson à l’origine du projet, que Marie a composé pour son grand-père.
Des ateliers sur la mort dans les écoles
Selon Marie, « il est nécessaire de parler de la mort aux enfants dès la maternelle ». Dans cette optique, elle a mis en place des ateliers d’écriture auprès des grandes sections de maternelle de l’école des Bois dans le 19e arrondissement de Paris. « Pour commencer, on a dit que c’étaient des ateliers sur le temps qui passe, puis sur le cycle de la vie et enfin sur la mort », explique-t-elle. Une expérience qui a autant ravie les enfants que les parents !
Comptines sur le cycle des saisons, les dents qui tombent, le fait de grandir, la différence entre le passé, le présent et le futur, la mort d’un animal, d’un papi, d’une mamie, d’un frère, d’une sœur… Finalement, les enfants avaient besoin d’aborder tous ces sujets. « Je n’ai pas de réponses à toutes leurs questions mais je leur permets d’en parler ».
À lire : Neztoile, doula de fin de vie, biographe… Ces nouveaux métiers de la fin de vie
Un projet intergénérationnel qui fait du bien aux petits comme à leurs aînés
Lire aussi : Parler de la mort aux enfant : le choc du silence et le poids des secrets
Elle a entendu sa chanson sous le cerisier de sa maison natale
Lorsque Marie a écrit une ou deux chansons avec un patient, elle propose l’organisation d’une journée éphémère avec la complicité des médecins et de Martine Marras, photographe. « On avait écrit une chanson sur le village de Marie-Thérèse et elle m’a avoué qu’elle ne pensait pas revoir sa maison natale avant sa mort ». Pour lui offrir l’opportunité de ce retour dans le passé, Marie, accompagnée d’un médecin, de ses musiciens et de Martine ont pris la route vers ce village.
En septembre 2021, avec la complicité de la mairie, Marie-Thérèse a pu retrouver ses anciens copains d’école. « Elle était très émue de revoir ces gens qu’elle n’avait pas vu depuis 60 ans ». Après un déjeuner dans le restaurant où la patiente s’est mariée, le cortège s’est rendu au cimetière pour lui permettre de visiter les sépultures de sa sœur et de ses parents. « Pour finir la journée, nous avons obtenu l’accord des actuels propriétaires de sa maison qui ont accepté de nous recevoir pour que l’on chante sa chanson sous le cerisier de sa maison natale ».
Témoignage : Cultiver la vie jusqu’au bout et exaucer ses derniers souhaits
Le jour de l’enterrement, Marie chante la chanson de leur vie
L’accompagnement proposé par Marie ne s’arrête pas là. Il se poursuit souvent jusqu’au décès de ses muses. « Avec les musiciens, on se rend à l’enterrement pour chanter la ou les chansons co-écrites avec le patient ». Marie a pu vivre ainsi à deux reprises des obsèques avec une musique live, et aimerait que la pratique essaime en France. « Il faudrait pouvoir, comme dans certains pays, faire la fête pour les funérailles ».
Dans un futur proche, Marie envisage de proposer l’écriture de chansons à un public plus large. « Des particuliers, des gens qui veulent parler de leur propre mort, des proches qui veulent offrir ce cadeau à une personne en fin de vie », explique-t-elle. Un projet que, vous vous en doutez, Happy End suit de très près !
Lire aussi :
- Les Soupirantes, elles chantent nos morts le jour de leurs obsèques
- Chanson pour un enterrement : les dessous du tube de Grégoire
- 6 chansons pour un enterrement après un suicide
- Chansons enterrement maman : des mots pour lui dire adieu
- Chansons pour un enterrement : comment incarner son lien au défunt ?