Brutale, inattendue, elle peut surgir à tout instant, l’annonce de la mort d’un proche nous fauche… Laetitia nous raconte la mort de son père.
Ce lundi-là, il m’a réveillée… L’esprit encore embrumé, j’ai pourtant vu son visage défait. Je ne sais pas comment il a pu aligner ces mots terribles : « C’est ton père… » J’ai pensé à un accident. Je l’avais eu au téléphone la vieille au soir. Il quittait définitivement le Sud Est et prenait la route pour le Sud Ouest : un « retour aux racines » ! J’ai dit : « Il a eu un accident ? »
– « Non… Il est mort… »
Je ne savais pas bien si j’étais éveillée ou endormie. Mais dans ce mauvais rêve, je me suis mise à pleurer…
Mes pensées s’entrechoquaient
Mes pensées se sont agitées comme une pluie de météorites désordonnée. Elles s’entrechoquaient : « Ce n’est pas possible ! », « Comme c’est bizarre ! Il m’a demandé si je voulais toujours qu’il me ramène mon vieux piano… ! », « Est-ce qu’il s’est suicidé ?! »
J’appris que mon père était mort, à l’aube, sur la côte basque. Rapidement, je me suis vue passer en « mode automatique : une partie de moi commençait déjà à prendre les choses en main : 1) prendre les horaires de train, 2) préparer ma valise, 3) me changer, 4) amener des Kleenex, etc… Tandis qu’un autre versant de moi, plus ombragé, se débattait avec la nouvelle : « Et si ce n’était pas lui !? »
Sa dernière phrase
Ses derniers mots me revenaient, en boucle: « J’ai tous mes cartons dans le coffre de la voiture : je me casse ! Et après : c’est L’ Exil !» Une phrase tourbillonnante, souriante…
Je pleurais toutes les larmes de mon corps. S’il ne s’était pas suicidé, était-il possible qu’il sache, d’une façon ou d’une autre, que c’était « l’heure du grand départ » ? Deux choses tout à fait contradictoire cohabitaient en moi tranquillement : le « Ça y est… c’est fini… » et le « Tant que je ne l’ai pas vu, rien n’est sûr ! »
Je « croyais » à sa mort et, à la fois, je « n’y croyais pas » ! Malgré le brouillard qui m’absorbait, je trouvais la force de tout faire correctement. Prendre le bon bus. Attraper le bon train. Arriver sur place. Je partais seule. Mon compagnon ne pouvait pas marcher. Mais cette solitude ne changeait rien aux choses.
Je savais depuis l’enfance qu’on est toujours seul dans nos drames…
« Reconnaître » le corps
Trois heures plus loin, je n’avais toujours pas de réponse à cette interrogation : pourquoi devoir le reconnaître ? Ironiquement, l’histoire s’inversait ! Ce père m’avait reconnu, un jour, comme son enfant… et à mon tour j’allais devoir le reconnaître. J’appris qu’on l’avait trouvé « sur la voie publique ».
Je me dis : « Comme la formule change le sens ! » Maintenant on me disait qu’il s’était éteint « dans la rue » ! Mais je savais bien, moi, qu’en réalité : mon père était mort sur l’une de ses plages préférées : aux Sables d’Or ! Dans un élan, j’eus envie de rétablir La Vérité ! De me fâcher ! Au lieu de ça… je me taisais. J’étais sans voix…
Dans la presse locale, le lendemain, je découvrais, horrifiée, qu’un journaliste inconnu balayait une vie, en quelques phrases : résumant sa vie à sa mort « anonyme » sur la « voie publique ». Mon père, sarcastique, en aurait-il ri ? Moi, ça ne me faisait pas rire du tout.
Voir mon père mort
En entrant, je l’ai vu. Posé là. Il n’a fallut qu’une microseconde pour savoir que c’était vrai « Vrai de vrai. » Incontournable. Incisif. Irrémédiable. Définitif !
Pourtant, «L’ Autre» en moi se débattait encore… « Attention ! D’un instant à l’autre, il va ouvrir les yeux ! Il va ouvrir les yeux et on rira ensemble ! Ah la bonne blague… Ne me fais plus jamais ce coup-là ! »
J’ai attendu qu’il dévoile ce regard bleu énigmatique qu’on lui connaissait…
Mais il ne s’est rien passé.
Adieux
«C’est bien lui ? », j’ai entendu. Mon père, mort. Une voix me ramenait brutalement à l’extérieur d’un monde où j’étais totalement seule avec lui… J’ai dit « oui ». Ensuite. Ensuite seulement, ils nous ont laissés. « Tu es toujours mort ? » je lui demandais, une fois seuls. Et nous eûmes, alors, une longue conversation…
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