Un livre photos pour briser le tabou de l’euthanasie


Atteinte d’une pathologie lourde, Christiane a choisi de se faire euthanasier peu après son 80ème anniversaire. Sa fille, la photographe Belge Catherine Rombouts, publie un livre d’une grande délicatesse sur cette mort choisie qu’est l’euthanasie. Le Grand Jour réunit des portraits de sa mère à la fin de sa vie,  des images familiales et des clichés de sa maison et de ses objets. Un ouvrage d’art co-signé par l’historienne Sophie Richelle, dont les textes épurés accompagnent les photos. Les deux auteures souhaitent faire avancer le débat français sur l’euthanasie.

Célébrer la vie et le passage

L’absente irradie le livre. Au fil des pages, on rencontre une personne ardente et coquette, un peu bravache, une femme de caractère qui a croqué la vie à pleines dents et qui veut tirer sa révérence avant de ne plus pouvoir danser, s’en aller vers la mort comme une cavalière franchissant l’obstacle.

De la maladie qui a conduit à cette situation, le Grand Jour montre très peu, juste assez pour nous faire toucher la réalité d’une situation devenue intenable. Elle se lit en filigrane, sans dolorisme, dans les rides d’un visage, un épuisement, un clair-obscur, un horizon rétréci de jour en jour. Et à travers des mots simples et nus, qui rappellent qu’au crépuscule de la vie on va souvent à l’essentiel :

(…) Elle souffrait de la maladie de Charcot dans sa forme bulbaire. 

(…) Des personnes qui savent que les lendemains seront pires que les jours d’avant.

(…) Savez-vous pourquoi je suis là ? Voulez-vous que je reste ?

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Un temps d’adieu avec chacun avant de mourir

Dans son agenda, à la date fixée pour l’euthanasie, Christiane barre une information désormais obsolète et note, d’une écriture ferme, l’ultime rendez-vous auquel elle convie les siens : le Grand Jour. Le 13 février – elle a choisi la veille de la fête des amoureux – elle se fait belle, s’habille d’orange éclatant, boit du champagne. Elle distribue ses bijoux et prend un temps d’adieu avec chacun avant de mourir, comme elle l’avait souhaité, entourée de ses proches et assise dans son fauteuil.

À la première injection, elle a ronflé. À la deuxième, son coeur s’est arrêté en quelques secondes…Les deux mots qui restent associés à sa décision sont “rayonnante” et “apaisée”, déclare sa fille.

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Un livre photos pour livrer un témoignage positif sur l’euthanasie

Catherine revient sur ce qui l’a conduite à réaliser ce livre si particulier qui donne à réfléchir sur l’euthanasie :

“Quand maman nous a fait part de son projet de fin de vie, j’ai essayé de trouver des ouvrages pour m’aider et pour aider mes enfants, qui avaient envie d’être présents auprès de leur grand-mère ce jour-là. Je me suis sentie un peu dépourvue, car il y avait très peu d’informations disponibles sur la réalité de cet accompagnement pour l’entourage, sur le vécu des proches… »

“Quelques heures avant sa mort, j’ai pris des photos d’elle dans son jardin. Je n’ai jamais pensé alors que j’en ferais un livre…Mais petit à petit, en vidant sa maison pour la mettre en vente, j’ai eu envie de transmettre mon vécu personnel très positif autour de sa fin de vie. Pour elle, pour nous, ça s’est très bien passé. Je me suis dit que c’était important de témoigner de cette expérience lumineuse, et j’ai proposé à Sophie d’écrire autour de mes photos.”

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Des fragments de vie jalonne ce livre sur l’euthanasie

Nous sommes parties de mon vécu mais nous avons rapidement pensé qu’il fallait l’élargir ». Sophie a interrogé par le biais de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) d’autres personnes qui avaient accompagné un proche dans son choix d’euthanasie. « Des fragments de leurs récits apparaissent dans le livre. Nous avons perçu beaucoup de points communs dans ces histoires et dans les émotions ressenties. Ce qui ressort, c’est qu’une fois la décision prise, les gens vivent mieux. Le simple fait de savoir qu’il existe une possibilité d’interrompre les souffrances procure un grand apaisement.

La dignité, c’est une question de personne, de caractère, d’histoire de vie

Pour autant, il ne s’agit pas de généraliser des parcours qui demeurent uniques : “La dignité, ou l’idée qu’on s’en fait, c’est une question de personne, de caractère, d’histoire de vie. Ma mère était une femme coquette et l’idée de la déchéance physique lui était insupportable. Mais c’est une notion tellement propre à chacun. Quelqu’un d’autre dans la même situation vivra les choses autrement et posera d’autres choix. Ce que je raconte, c’est une histoire, notre histoire. Je ne suis pas sûre qu’elle soit totalement représentative, mais je trouve essentiel de pouvoir témoigner de mon vécu positif, à hauteur de proche.

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Nous avons vécu pleinement ces moments d’adieu

Quand je pense à ma mère, ajoute Catherine, je me dis : “respect”. Respect aussi de nous avoir épargné une fin qui aurait généré de la souffrance de part et d’autre.”

Elle explique à quel point sa maman a transmis la sérénité de son choix à son entourage et souligne la valeur inestimable d’un temps d’adieu conscient :

Mes deux parents sont morts de façon diamétralement opposée : mon papa est mort à 60 ans d’un infarctus pendant ses vacances. Cela a été un choc, nous n’avons pas eu le temps de nous dire au revoir, et son deuil a été très long. C’est peut-être aussi pour cela que ce livre existe…Lors de l’euthanasie de ma mère, je n’ai ressenti aucun choc, aucun traumatisme. Il y avait de la tristesse bien sûr, c’est la fin de la vie, c’est une séparation. Mais nous avons vécu pleinement ces moments d’adieu, et cela rend le deuil plus doux. Je n’ai eu aucun doute, aucune interrogation sur son choix, car nous avions pu parler de tout.”

Plaidoyer pour un cadre légal

Le livre fait dialoguer l’histoire de Christiane avec le contexte juridique qui a rendu son parcours possible. Les éléments personnels voisinent ainsi avec des extraits de la loi belge et des statistiques, dans un mélange parfois déroutant d’intimité et de formalité. En fin d’ouvrage, un dossier revient sur l’historique de la loi belge tandis qu’un autre fait le point sur la situation française.

Pour Catherine, l’euthanasie est un soin, l’inscrire dans un cadre légal est essentiel. À Michel Houellebecq, pour qui “un pays qui légalise l’euthanasie « perd (…) tout droit au respect », elle répond par une citation de la médecin en soins palliatifs Corinne Van Oost : “Une société qui écoute les individus et qui admet l’euthanasie gagne en humanité”.

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La nécessité d’être bien informé et accompagné

Sans jugement, l’auteure du Grand Jour revendique le libre choix de chacun dans un cadre qui lui garantisse d’être bien informé et bien accompagné. Traçant le parallèle avec l’IVG, elle rappelle que des pratiques d’euthanasie existent dans les pays où elle n’est pas légale :

Elles risquent alors de se faire dans de mauvaises conditions…Les Français qui n’en peuvent plus et qui en ont les moyens se rendent en Belgique ou en Suisse, où ils meurent loin de chez eux, parfois sans leurs proches, en tout cas sans les soignants qui ont suivi leur parcours. Or, la relation avec le médecin qui va pratiquer l’euthanasie est fondamentale. Il faut pouvoir parler de tout, sans fard. Je n’avais jamais vu quelqu’un mourir avant maman, j’étais pleine de questions. Nous sommes allées voir le médecin avec des demandes très pratiques : “Comment ça se passe ?”, “Combien de temps ça dure?”, “Est-ce qu’on peut mourir assis ?”… L’accompagnement est tellement fondamental, c’est le plus important.

Un livre photo pour déclencher la discussion sur l’euthanasie

À ce plaidoyer, Le Grand Jour offre un visage, des émotions, une réalité tangible, inscrite dans le tissu de la vie et l’intimité des relations. Son originalité réside dans sa forme, à la rencontre de l’art et de la loi, au carrefour du concret et du sacré, de la petite histoire et de la grande. Sensibles et métaphoriques, les images suscitent le questionnement sans imposer de réponse. Avec pudeur et beauté, elles esquissent une invitation à dépasser les idées toute faites et les positions théoriques.

C’est tellement compliqué d’aborder les questions de fin de vie avec nos proches, nous avons un vrai problème avec la mort dans notre société occidentale…C’est peut-être plus facile d’en parler avec des photos ! Nous avons voulu un livre qui tienne dans un sac à main, facile à transporter et suffisamment énigmatique pour que chacun puisse s’y projeter avec ses questionnements. Ce serait formidable s’il pouvait être un outil de discussion.”, conclut Catherine.

Le Grand Jour, de Catherine Rombouts et Sophie Richelle, Éditions Loco, 30 €

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