Les start-up vont-elles révolutionner le marché de la mort ?


On dénombre 612 000 décès en France en 2019. Un chiffre en constante évolution, selon les dernières données de l’INSEE. Sans surprise, le marché français de la mort se porte comme un charme. Dans sa dernière étude axée sur l’année 2018, le cabinet Xerfi l’évalue à 2,25 milliards d’euros.

Autant d’argent ne pouvait qu’attirer l’attention de nouveaux investisseurs et entrepreneurs. Depuis une dizaine d’années, nombre de start-up, s’intéressent au marché juteux de la mort. Testaments en ligne, accompagnement des familles, obsèques « au juste prix », et même dispersion de cendres dans l’espace… les possibilités sont rapidement devenues nombreuses pour tout proche endeuillé. En France, les entreprises les plus connues s’appellent Testamento, Advitam, Simplifia ou encore Elicci.

L’ubérisation du marché de la mort n’est pas pour tout de suite

Si l’engouement des acteurs du milieu semble sans limite, experts et observateurs, eux, sont plus réservés. Le marché funéraire ne serait pas vraiment en voie d’« ubérisation », comme le secteur de la mobilité et de la livraison. « Le funéraire ne devrait pas subir d’ubérisation prochainement, car il s’agit d’un secteur qui se développe lentement », commente Pascale Trompette, sociologue et directrice de recherche au CNRS au laboratoire PACTE (Université Grenoble Alpes).

En cause ? L’âge moyen avancé (compris entre 60 et 70 ans) de la clientèle « consommatrice » de produits funéraires. Une clientèle toujours très attachée aux solutions de pompes funèbres classiques.

Selon les chiffres du baromètre de mai 2019 Les Français et les obsèques du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) pour la Chambre syndicale nationale de l’Art funéraire (CSNAF), 5 % seulement des sondés utilisent internet pour l’organisation d’obsèques. Les start-up proposant des services funéraires en ligne représentent, actuellement, une frange marginale du marché.


Les générations futures pourraient représenter une clientèle plus intéressée

En sera-t-il toujours ainsi pour le marché de la mort ? Dans une partie du baromètre centrée sur les moins de 40 ans, (qui sont 17 % à avoir déjà organisé les obsèques d’un proche), on apprend que 27 % d’entre eux se disent prêts à acheter sur internet des produits funéraires, contre 13 % chez les 40 ans et plus. Habituées au numérique, les jeunes générations, dans quelques années, pourraient se révéler plus enclines que leurs aînées à se servir de ces nouvelles solutions du funéraire.

Faut-il y voir les prémices d’un grand changement dans notre rapport à la mort ? Non, répond Pascale Trompette : « Si depuis les années 70-80, la demande des familles est d’avoir une cérémonie personnalisée pour leur défunt, on se rend compte que les funérailles se ressemblent toutes à quelques détails près. En jouant tous le jeu de la personnalisation, les services funéraires se sont donc standardisés. Ces start-up ne font que confirmer cette tendance mais ne révolutionnent pas le marché de la mort. »

Le marché de la mort soutenu par le secteur de l’assurance

Reste à voir si ces start-up pourront s’assurer une pérennité économique. Testamento et Advitam, deux entreprises françaises, ont levé plusieurs millions ces dernières années. Elles ont réussi à vendre leurs business plans à des investisseurs, mais pour combien de temps ? « Le secteur est toujours plus porteur quand on n’a pas de matérialité, car on a forcément moins de dépenses. Sur internet, le marché s’est développé grâce au soutien du secteur de l’assurance », estime Pascale Trompette.

En France comme à l’internationale, les start-up redoublent d’imagination pour proposer de nouvelles solutions.


Testamento et ses testaments en ligne

Parmi les start-up du funéraire en vogue dans l’Hexagone, on trouve Testamento, fondée en 2013 par des notaires et des avocats. Selon ses termes, la société « conçoit et développe une plateforme de services d’anticipation successorale » proposés aux particuliers et aux professionnels de l’assurance. Des services garantis comme légaux et reconnus par l’État.

Une levée de 3 millions d’euros pour Testamento

En plus d’un « Kit Info Succession » gratuit, pour connaître sa situation et comprendre comment fonctionne la succession, Testamento met à disposition une gamme de testaments olographes préparés en ligne avec ou sans enregistrement par un notaire (pour des tarifs allant de 30 € à 70 €).

Pour 20 €, il est également possible d’obtenir un document légal exprimant ses volontés en matière « d’acharnement thérapeutique, de don d’organes et d’obsèques », sorte de directives anticipées. Un service d’inventaire permet de consigner tous les biens de valeur, physiques ou numériques, afin qu’ils ne soient pas oubliés après le décès. L’offre de base gratuite peut grimper jusqu’à 50€, selon les options choisies (comme l’inscription de l’inventaire chez un notaire).

Si elle ne communique pas sur son chiffre d’affaires ou sa croissance, l’entreprise laisse penser qu’elle se porte bien. Composée d’une équipe de 14 personnes, Testamento a levé, en février 2019, trois millions d’euros en accueillant à son capital La France Mutualiste et les fonds d’investissement d’Allianz France et de Malakoff Médéric Humanis, InnovAllianz et MM Innov’.

Advitam veut faire mieux pour moins cher

Créée en 2016, Advitam est une société de pompes funèbres en ligne qui veut révolutionner le marché de la mort en proposant des services moins chers mais toujours plus personnalisés. Selon un rapport de la cour des comptes de 2019, les prix des obsèques sont compris, en moyenne, entre 2 500€ et 4 500 €. La start-up propose des services funéraires à partir de 1700€, incluant l’inhumation, l’accompagnement des familles dans les démarches administratives et même la suppression des données numériques du défunt.

Advitam ne possède aucune agence physique, et sous-traite la totalité de ses prestations, ce qui lui permet d’afficher des tarifs aussi compétitifs. Pour le moment, la société couvre, grâce à ses partenariats, 24 départements. Composée d’une dizaine de personnes, elle compte à son actif l’accompagnement de plus d’un millier de familles depuis sa création. Fin 2018, elle annonçait une croissance de 100% et une levée de fonds de 1,8 million d’euros, auprès de NewFund, BPI France et de Business Angels.

Des cendres dans l’espace

Parce que les Américains voient toujours les choses en (trop) grand, la start-up californienne Elysium Space, fondée en 2013, propose d’envoyer les cendres de ses proches dans l’espace, rien que ça ! Elles sont placés dans des CubeSat, des nano-satellites américains, puis ils sont installés dans une fusée, avant d’être envoyé en orbite héliosynchrone (orbite basse et constante).

Pour le moment, deux décollages ont eu lieu. Le premier, en 2015, s’est soldé par un échec. La petite sonde expérimentale américaine Strypi a explosé plus d’une minute après son décollage. Fin 2018, Elysium Star 2, qui contenait les cendres d’une centaine de personnes, a été placée en orbite avec succès par un lanceur Falcon 9 de SpaceX.

Ne faire plus qu’un avec les étoiles n’est cependant pas à la portée de toutes les bourses. Il faudra compter 2 490 $ (environ 2 258 €) pour envoyer des cendres dans l’espace. Convaincu ? Elysium Star 3 serait en préparation, sans qu’aucune date de lancement n’ait pour l’instant été annoncée. Vous préférez la Lune ? Elysium Space propose également un lancement, en 2021, vers notre satellite pour aller déverser des cendres sur sa surface. Mauvaise nouvelle, il ne reste plus aucune place libre. Si ça peut vous rassurer, sachez que le prix de la réservation était compris entre 9 950 $ et 11 950 $ (environ 9 000 € et 10 800 €).

Un projet déjà enterré en France

L’entreprise avait fait des émules en France. En 2017, la start-up « Poussières d’étoile » proposait d’expédier les cendres des défunts dans la stratosphère, soit à 30 km d’altitude, à l’aide d’un ballon stratosphérique. Le petit voyage coûtait tout de même la bagatelle de 999 €. Quelques 17 envois avaient été effectués cette même année. Depuis, l’entreprise n’a plus donné de signe de vie dans les médias, et son site internet ne fonctionne plus. L’engouement se serait-il déjà tari ?

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