La mort de ma meilleure amie à 18 ans m’a donné envie de croquer la vie


En 1996, je rentre d’un voyage aux USA, j’ai 18 ans et mes parents (alors divorcés depuis 15 ans), m’attendent à l’aéroport avec ma sœur. J’ai tout de suite compris que l’heure était grave car jamais mes parents ne m’auraient fait ce « comité d’accueil » s’ils n’avaient pas une mauvaise nouvelle à m’annoncer ! « Ingrid était dans l’avion qui s’est écrasé il y a 2 jours entre New York et Paris ». J’étais dans un film de Lelouch et j’ai vu la caméra monter de 10 mètres au-dessus de nous dans l’aéroport pour nous retrouver comme des fourmis parmi tant d’autres… Et moi, complètement abasourdie !

J’étais atterrée, affligée, je n’en revenais pas ! Et à la fois, c’était bien réel… tout de suite, j’ai dit « Et sa mère » ? La réponse de la mienne m’a rassurée « Elle était avec elle ! » . On savait que l’une n’aurait pas pu survivre sans l’autre, d’autant que le père était mort six mois avant d’un cancer… Il restait un jeune frère de 25 ans qui s’est donc retrouvé tout seul à vivre à New York. Sa force infaillible, m’a aidée à faire face : j’avais perdue une de mes meilleures amies mais c’était moins pire que lui. Je n’ai d’ailleurs pas énormément pleuré. Lui, je ne l’ai jamais vu verser une larme. Il disait : « Mon père m’a toujours dit qu’il ne fallait pas pleurer, c’est pas maintenant qu’il peut me voir tout le temps que je vais m’y mettre. »

On se soude entre amis, on pleure, on s’appelle, on se raconte

Quand on a 18 ans et qu’il arrive un tel drame, on a du mal à réaliser, on se soude entre amis, on pleure, on s’appelle, on se raconte : « Comment tu l’as su ? t’étais où ? c’est quand la dernière fois que tu l’as vue ? » Personnellement, je sais que j’ai eu envie de raconter toutes les coïncidences, les hasards qui n’en étaient sans doute pas, les derniers échanges qu’on avait eus, à tous les gens qui la connaissaient ! À 44 ans, ça m’arrive encore d’ailleurs… Et surtout, très vite, j’ai pensé « Elles sont mieux là où elles sont parce que la vie qui les attendait à court terme du moins, ne semblait pas simple pour plein de raisons ». C’est là que j’ai décidé de croire en la vie après la mort en me disant que, finalement, peu importe que ce soit vrai ou pas. C’était ma béquille, le seul moyen d’accepter la mort de nos proches, surtout d’une jolie fille de 18 ans qui avait toute la vie devant elle. Le paradis ça devait être encore mieux que tout ça !

J’ai proposé d’écrire un texte pour son (leur) enterrement et quelqu’un m’a dit « Non ça ne se fait pas, on n’est pas de la famille » !!! Et puis, la veille, une dizaine d’amis de province sont venus pour l’enterrement dîner et dormir chez nous à Paris. Je leur en ai parlé et ils m’ont incitée à rester sur cette impulsion. On était un peu tous d’accord que, de toutes façons, il n’y avait plus de famille et que son frère n’aurait sans doute rien prévu… Je m’y suis mise, j’ai écrit spontanément et ils ont validé ce premier jet.


Je lui avais rapportée des boucles d’oreille en forme d’étoiles, maintenant, elle était mon étoile

Un échange avec le prêtre juste avant le début de la messe m’a conforté dans l’idée qu’il fallait parler. Le seul discours prévu était celui de représentants de la compagnie aérienne ! L’horreur ! J’ai alors, entre autres, raconté que la dernière fois qu’on s’était vues, c’était une semaine avant mon départ à Washington, le week-end précédent notre bac, on révisait à la campagne. Je lui avais demandée ce qu’elle voulait que je lui rapporte. « Une étoile, quelque chose en forme d’étoile » m’avait-elle dit puis, elle m’avait promis de m’appeler si elles décidaient, avec sa mère, de passer à NYC voir son frère.

Heureusement, elle ne m’avait pas prévenue, sinon, j’aurais pu savoir qu’elle était dans cet avion. Je n’aurait probablement pas réussi à faire le voyage retour qui était quasiment le même. Je lui avais rapportée des boucles d’oreille en forme d’étoiles, maintenant, elle était mon étoile…

J’ai eu envie de profiter de la vie, je me suis mise à sortir beaucoup

Tout le monde m’a remerciée d’avoir pris la parole à son enterrement car c’était tellement glauque. Les jours suivants, j’ai eu une réaction particulière. J’ai eu envie de profiter de la vie, je me suis mise à sortir beaucoup. Heureusement, je ne buvais pas à ce moment-là mais ça a sûrement participé au fait que je plante ma première année d’étude après le bac. Je n’étais pas du tout disposée à étudier sérieusement.

Le frère d’Ingrid n’a accepté que moi en tant qu’amie de sa sœur auprès de lui. S’en est alors suivi plusieurs week-ends organisés avec ses amis, dans leur maison de campagne à vider, trier leurs affaires mais aussi… faire la fête ! Célébrer la vie plutôt que la mort ! Se mettre la tête à l’envers pour oublier (surtout eux, moi, j’ai du commencer avec eux je pense, comme les grands frères que je n’avais pas eus), rigoler… et oui ! C’était glauque mais on se marrait beaucoup, je crois que c’est ce qui nous faisait à tous du bien.


Nos petites étoiles restent dans nos cœurs mais on avance et elles nous renforcent

Son frère m’a donnée toutes ses affaires. C’était un peu gênant mais je l’ai vécu comme un cadeau énorme et une façon de la faire vivre encore un peu. Je portais beaucoup ses habits, ses chaussures. Je me souviens d’une paire de Nike incroyables, d’un caban, d’un blouson Teddy, d’un blouson en cuir et d’accessoires. Des pièces vraiment chouettes. Certaines copines n’ont pas compris, ça les choquait de me voir les porter. Moi, ça m’aidait à aller de l’avant, à la garder près de moi.

J’avais aussi pas mal de photos d’elle dans ma chambre, elle était tellement belle ! D’ailleurs, 26 ans après, je me rends compte que je n’ai plus rien d’elle à part de jolies photos. Elle serait devenue une super photographe. Au fur et à mesure, j’ai eu besoin de la laisser partir et de m’alléger. Sept mois plus tard, une cousine est décédée d’un cancer du sein et je pense que la mort s’est installée dans notre famille comme faisant vraiment partie de la vie. Nos petites étoiles restent dans nos cœurs et on s’endurcit un peu mais on avance et elles nous renforcent.

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Mort d’un ami