“Les personnes qui sont death positive pensent qu’il n’est ni morbide ni tabou de parler ouvertement de la mort”, explique Caitlin Doughty sur son site internet The Order of the Good Death. Cette jeune directrice de pompes funèbres est la pionnière du Death Positive Movement aux Etats-Unis. Depuis 2011, elle travaille avec d’autres professionnels à redéfinir les pratiques en matière de fin de vie, de mort et de deuil pour remettre en question notre façon d’aborder ces sujets en société. Aujourd’hui, le mouvement s’est propagé à l’international et a engendré de nombreuses initiatives permettant de libérer la parole autour de ces sujets dont celle de notre média, Happy End, qui a donné lieu au manifeste “Réinvitons la mort dans nos vies !”
La naissance du mouvement Death Positive
En 1969, Elizabeth Kübler-Ross publie le livre On Death and Dying (Sur la mort et le deuil), recueil de témoignages de patients mourants. Malgré le caractère visionnaire de ses recherches, le travail de la psychologue fait l’objet de vives critiques. Dans le milieu hospitalier, les médecins refusent d’évoquer la mortalité. Elle est fortement critiquée par ses pairs. Le premier hospice ouvre en 1974 aux États-Unis, en s’inspirant du modèle anglais. Quatre ans plus tard, le ministère américain de la Santé affirme que « le mouvement des hospices en tant que concept de soins aux malades en phase terminale et à leurs familles est viable. Il offre un moyen de fournir des soins plus humains aux Américains en phase terminale. »
Puis, en 1976, la loi permettant à tout individu de refuser une intervention médicale non désirée pour le maintenir en vie est décrétée. Un autre bond en avant pour le mouvement Death Positive. Dans les années 80, une attention toute particulière est portée sur les moyens d’aider les patients et leurs familles à accepter la fin de vie dans les services de soins palliatifs. Dans les années 2000, le mouvement prend de l’ampleur. En 2011, Caitlin Doughty, alors jeune directrice d’une entreprise de pompes funèbres, crée The Order of the Good Death. Son objectif : ancrer la mort comme un moment faisant partie de la vie. Aujourd’hui, cet Ordre rassemble une communauté de professionnel·le·s de l’industrie funéraire, d’universitaires et d’artistes qui explorent les moyens de changer notre vision et d’améliorer le regard porté sur la fin de vie, la mort et le deuil en société.
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Café mortel et Apéro de la mort pour libérer la parole…
En 2004, le sociologue et ethnologue suisse Bernard Crettaz, crée les premiers cafés mortels. Ces rencontres offrent à chacun la possibilité de venir parler de la mort dans un climat bienveillant pendant deux heures. La rencontre se termine par un repas convivial partagé par les participants qui le souhaitent. Cette initiative avant-gardiste a grandement contribué à briser le silence sur ces sujets tabous dans plusieurs pays (Bruxelles, Québec, Paris, Londres et Berlin…).
Les Cafés Mortels ont d’ailleurs inspiré nos Apéros de la mort, organisés en France par notre association Happy End. La société dans laquelle on évolue, et même notre entourage, nous condamnent parfois au silence. La mort et le deuil suscitent le malaise. Avec les Apéros de la mort, nous souhaitons proposer un espace de parole pour permettre aux mortels conscients de leur finitude, mais aussi aux personnes en deuil, d’échanger sur leur vécu. D’ailleurs, le terme Apéro de la mort n’a pas été choisi par hasard. Il est important pour nous de réhabiliter le mot mort, banni des conversations, et de l’accoler à un temps, synonyme de convivialité et de légèreté. Comme un pied de nez au déni de la mort dans notre société.
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… et trouver réconfort et apaisement
Malgré cette conviction, nous redoutions au départ que l’appellation soit mal interprétée ou jugée irrespectueuse par les personnes touchées par la perte d’un proche. S’il faut parfois expliquer que la proposition est sérieuse, globalement, la proposition est claire et séduit, y compris des personnes qui viennent de perdre un proche. A chaque nouvel Apéro, des jeunes veuves, des parents qui ont perdu un enfant viennent et disent à quel point ce temps d’échange est précieux. Certains endeuillés trouvent beaucoup de réconfort et d’apaisement dans le partage de leur vécu. Depuis le lancement des Apéros de la mort en 2020, des centaines de personnes sont venues y participer.
Vous souhaitez participer à un de nos Apéros ? Consultez cette page afin de trouver un rendez-vous près de chez vous.
Death Positive : le deuil se revendique sur les réseaux sociaux
Selon nous, bien qu’il pourrait s’avérer compliqué de lancer un mouvement de la mort positive en France, la société semble (enfin !) prendre conscience de l’importance d’un tel sujet. En 2018, lorsque j’ai créé le compte d’Happy End sur Facebook et Instagram pour informer sur la mort et le deuil, je me sentais très seule sur les réseaux sociaux. Il existait des groupes Facebook qui donnaient la parole à des endeuillés sur le deuil d’un enfant, le deuil d’un conjoint, le deuil d’un animal mais pas de compte dédié au sujet, hormis celui de Mortel, un podcast sur la mort. Puis, en 2020-2021, des endeuillés ont commencé à briser le silence en créant des comptes personnels sur Instagram pour raconter leur cheminement de deuil.
À titre d’exemple, on peut citer le compte instagram @Vcommevie, de Sophie Charlotte Chapman, veuve et maman de 3 enfants mais aussi celui de @Mémoiredorpheline, tenu par Léa Scherer, jeune orpheline de père et de mère. Aujourd’hui, une centaine d’acteurs contribuent au mouvement de la mort consciente en France. Il s’agit d’orphelins, de veuves, de death doula, des professionnels du funéraire ou encore de thérapeutes de deuil.
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Les endeuillés ont tracé la voie des professionnels
Les endeuillés ont tracé la voie des professionnels de la fin de vie et du funéraire qui se sont, à leur tour, autorisés à prendre la parole pour valoriser leur accompagnement humain. Les professionnels du funéraire sont encore trop peu considérés. Pendant la crise du Covid, c’est la seule profession que l’on n’a pas applaudi. Pourtant, ils étaient aux premières loges et prenaient des risques importants en prenant en charge les victimes. Aujourd’hui, ils se mettent peu à peu à sortir de l’ombre et on s’en réjouit !
C’est le cas de l’Homme étoilé (@l.homme.etoile sur instagram), influenceur de la fin de vie heureuse sur Instagram. Cet infirmier en soins palliatifs, passionné de BD, partage son quotidien auprès de ses patients avec ses abonnés instagram.
Plus récemment, sur TikTok, des conseillers funéraires comme @sabrinaberinguiersalhi se sont mis à vulgariser et à démystifier le secteur du funéraire auprès du grand public. Une pratique tout simplement impensable il y a quelques années.
Les pompes funèbres sont elles aussi Death Positive
Les pompes funèbres s’inscrivent elles aussi peu à peu dans la culture du death positive. C’est le cas par exemple des pompes funèbres Oihandorea, dont les vitrines décorées au fil des saisons ravissent les petits comme les grands. Des toiles d’araignées pour Halloween, une vitrine décorée aux couleurs de la Saint-Valentin, un arbre du souvenir où chaque passant peut suspendre un mot… Elles ne passent pas inaperçues !
Emilie, la co-gérante explique sa démarche : « Nos vitrines suscitent la curiosité. Ce n’est pas parce que nous organisons des obsèques que nous devons travailler dans l’ombre. Bien au contraire, il est important de lever les peurs sur notre secteur et de donner envie aux gens de franchir notre porte. » Émilie a également eu l’idée d’organiser un lâché de 230 lanternes à Cambo-les-Bains pour rendre hommage aux défunts de l’année 2021. Un temps formidable de partage.
Ces secteurs qui s’emparent du sujet
Autre nouveauté pour le moins audacieuse, des jeux de société débarquent sur la thématique de la mort ! On retient particulièrement le jeu La Petite Mort qui propose de se glisser dans la peau de la Mort elle-même pour passer un diplôme de Faucheuse et Fiesta De Los Muertos, une sorte de Devine-tête d’illustres défunts.
Ces dernières années, plusieurs séries et télé-réalité sur le sujet de la mort et du deuil ont littéralement cartonné ! Après trois saisons de la série After Life, racontant le quotidien d’un journaliste anéanti par le décès de sa femme ou encore Familles Mortelles, série documentaire sur des familles de pompes funèbres, vous pourrez bientôt visionner une télé-réalité sur le death cleaning, adapté du célèbre livre La vie en ordre de Margareta Magnusson.
Une chose est sûre, le mouvement est en marche…
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