« On a beau être des bourgeois, ce jour-là, il n’était pas question de s’embarrasser des codes. Et peu importe si ça choquait. On voulait être dans le vrai », raconte Juliette, 59 ans, après avoir organisé l’enterrement de son père âgé de 89 ans, deux mois plus tôt. Comme elle, les français sont de plus en plus nombreux à s’autoriser une forme de liberté le jour des funérailles de leurs proches. Face à l’augmentation du nombre d’obsèques civiles (un souhait pour 26% des Français) et la demande en hausse de crémations (63% des français déclarent vouloir une crémation), une révolution funéraire est en cours. Pour combler le vide, les familles prennent part de l’organisation des obsèques aux côtés des pompes funèbres et apportent leur touche perso. Et il semblerait que ça les aide à se reconstruire.
Vincent, 44 ans
« Pour les obsèques civiles de ma mère, j’ai préparé un réquisitoire à la Desproges »
« Ma mère se savait condamnée. Un an avant sa mort, on a commencé à parler de son enterrement de façon décomplexée. Danielle avait un humour décapant. Elle ne voulait surtout pas de cérémonie morbide et larmoyante. Pour ses obsèques civiles, elle souhaitait qu’on boive un coup à sa santé et qu’on rigole. J’ai tenté de la satisfaire. »
« Au crématorium, j’ai enfilé une robe d’avocat pour faire un réquisitoire à la Desproges, inspirée d’une émission qu’elle ne ratait jamais sur France Inter. Ça m’a permis de retracer les grands moments de sa vie, avec fantaisie et cynisme. J’ai terminé en trinquant à son existence joyeuse et à sa « libération sans condition » avec une bouteille de Single Malt. J’avais aussi réécrit le texte du maître de cérémonie qui était beaucoup trop conventionnel. Évidemment, certaines de ses amies ont trouvé cela un peu déplacé. Mais je n’étais pas là pour plaire aux vivants, juste pour être juste vis-à-vis de ma mère et respecter la femme qu’elle avait été. »
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Caroline, 61 ans
« Ma mère est enterrée dans le jardin de sa maison »
« On conservait le cercueil dans lequel ma mère a été enterrée depuis vingt ans. Brocanteurs, on l’avait racheté à un menuisier et il plaisait beaucoup à ma mère. Ensemble, on avait décidé qu’il serait pour elle. Il fallait juste trouver les vis et le capitonnage et les pompes funèbres s’en sont chargés. »
« Mon père avait été enterré dans la propriété de mes parents au fin fond de la forêt de Fontainebleau trente ans plus tôt. Pour que sa femme puisse le rejoindre, cela n’a pas été simple. Il fallait fournir une lettre de la personne défunte attestant de cette dernière volonté et le rapport d’un hydro géomètre qui devait étudier le terrain. Le délai était trop court pour effectuer cette dernière démarche. Je suis donc allée voir le maire qui m’a donné son autorisation. »
« La cérémonie de ma mère a donc eu lieu dans un petit endroit abrité de notre jardin. Les pompes funèbres ont déplacé la pierre qui se trouvait au-dessus du cercueil de mon père. Pendant ce temps, on a proposé à l’assemblée de boire un verre de champagne car ma mère adorait ça. Les gens étaient un peu gênés puis après un verre ou deux, tout allait mieux. La maîtresse de cérémonie a dit quelques mots car j’étais incapable de prendre la parole. C’était vachement bien. Ni trop, ni trop peu… On ne pouvait pas faire mieux. »
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Julie, 31 ans
« Malgré la tristesse, la cérémonie de Léo avait une tonalité enfantine»
« La vie de Léo a été courte mais elle a été heureuse. Ses funérailles devaient refléter ses quatre mois et demi d’existence joyeuse sur terre… Ses obsèques civiles ont eu lieu au funérarium de Vernon au cours d’une cérémonie laïque. »
« On avait organisé un atelier découpage et décoration avec nos proches pour décorer entièrement la salle avec des astronautes, des étoiles et des nuages suspendus au plafond sur lesquels chacun avait écrit un mot. On les a suspendus en hauteur. Sur les chaises, j’avais déposé des papillons en feutre bleu turquoise. On voulait créer un univers doux et ouaté pour Léo, qu’on imaginait maintenant en petit astronaute, au milieu des étoiles. »
« Ce sont mes deux frères qui ont fait office de maîtres de cérémonie. On voulait rester entre nous. Pendant la cérémonie, on a alterné la lecture de textes très personnels et des musiques qu’on écoutait avec Léo. Ensuite, on s’est tous retrouvé chez un de mes frères. J’ai passé le Roi Lion ou encore « En feu » de Soprano. On voulait donner cette tonalité enfantine à ce moment d’hommages. Il devait refléter notre existence future. Léo nous avait quitté mais pour lui, on se devait d’être heureux. »
Le petit Léo est parti à l’age de 4,5 mois. Ses parents et proches entretiennent sa mémoire à travers l’Étoile de Léo.
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Fanny, 28 ans
« Les obsèques civiles de ma mère était un moment frais et léger, à son image »
« Mon père est mort quand j’avais 13 ans et je garde un souvenir effroyable de sa cérémonie. Elle a eu lieu à l’église et tout le monde pleurait. Comble de l’horreur, les porteurs ont lâché le cercueil dans le caveau. Je me souviens encore de ce bruit effroyable. »
« Quand ma mère est décédée, j’ai décidé que ça ressemblerait à tout sauf à ça. Après de nombreux appels, j’ai trouvé une jolie salle sur les Bords de Marne qui acceptait la présence de son cercueil. Pour son dernier voyage, elle est arrivée dans un corbillard 2CV. Un vrai cadeau car ma mère a toujours rêvé d’en posséder une. »
« Je ne souhaitais pas que ce moment d’hommage soit centré sur sa mort. Je voulais que chacun de ses proches s’approprient ces instants en fonction de leurs envies ou besoins. Et surtout ne rien imposer… C’est ce qui s’est passé : certains se sont recueillis devant son cercueil, d’autres ont discuté par petits groupes en écoutant la musique qu’elle aimait, on a mangé, bu… A la fin de la journée, nous sommes partis dans un grand éclat de rire. « Wahou, on l’a fait ». Ce moment lui ressemblait : il était frais et léger, à son image. Et j’éprouve beaucoup de bonheur à me le remémorer. »
Delphine, 41 ans
« Son enterrement était un banquet festif et joyeux »
« Le jour de son enterrement, j’étais habillée en blanc. J’avais placé sur son cercueil un drapeau arc-en-ciel, symbole LGBTQI. La musique de Bowie, qu’elle adorait, et Freddy Mercury, « Under Pressure », résonnait à plein tube. On s’est tous levés, on a dansé, chanté. Il régnait une atmosphère exaltée, comme une transe. Avec Christine, nous pratiquions le Wutao®, un art corporel contemporain. Nous avons voulu lui rendre hommage en lui offrant une dernière chorégraphie. Plusieurs personnes en haut des marches d’escalier ondoyant sous la nef des mille et une nuits de la Chapelle du Père Lachaise : un moment de grâce absolu. Des témoignages en français, en anglais, en allemand, les lanques qu’elle chérissait. La voix de son amie Nawal. La reprise en chœur de « Love is all ». Et un « It’s raining love, Alléluia », que Christine chantait avant de mourir. C’était la meilleure façon de rester en communion avec elle. Six amis ont porté son cercueil en cheminant marche après marche jusqu’au catafalque, sous la nef étoilée. Puis nous nous sommes réunis au Centre Tao Paris, le cœur de nos activités, avec son urne et toutes les fleurs de la cérémonie. Nous avons bu du champagne et fait la fête jusqu’à tard dans la nuit. Nous avons dansé, au milieu des fleurs, en tenant, tour à tour, l’urne de Christine dans nos mains, en célébrant nos rires et nos pleurs. On a complètement débordé, oublié tout protocole. Mais ce chaos était jubilatoire. Sa cérémonie était un banquet de passage, festif et joyeux.
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