Victime de harcèlement, François a tenté un suicide à 10 ans dans sa chambre. A 22 ans, il revient sur cette période qui a marqué sa vie.
Quand j’ai repris mes esprits, j’étais au sol dans ma chambre. La ceinture de mon peignoir pendait tristement au-dessus de ma tête, accrochée à la mezzanine. Je me souviens juste être monté à l’échelle avant de passer ma tête à cette corde improvisée. Par chance, la boucle n’a pas tenu. Pas facile de faire un nœud solide quand on a 10 ans…
Cette envie de mourir me paraissait logique. A l’époque, je me faisais harceler tous les jours. A l’école on me traitait de « sale porc » ou de « gros con ». Aucun élève ne m’épargnait. A la cantine, certains me jetaient leurs restes de nourriture à la figure. Et j’avais beau en parler à mes parents, ils pensaient qu’ils s’agissaient de simples chamailleries.
Un jour, à force de me plaindre, ils m’ont envoyé voir un psychiatre. Comme je ne dormais que quatre heures par nuit, il m’a prescrit des somnifères, sans me préciser les effets secondaires. Avec ce traitement, mon appétit a triplé, et je suis devenu obèse. Le harcèlement a empiré !
Cette envie de suicide m’habitait entièrement
Cette envie de mourir n’est pas née soudainement un matin. Elle m’habitait entièrement. Chaque jour, je cherchais autour de moi avec quoi je pourrais me suicider : une paire de ciseaux, un panneau électrique, une fenêtre ouverte… C’était une de mes occupations favorites. J’avais dû voir une scène de pendaison dans un western, ça avait l’air propre et sans douleur. Le jour où je me suis pendu, j’ai regardé comment faire un nœud sur internet puis me suis exécuté et raté. D’ailleurs, cet acte est passé inaperçu.
Après cet échec, j’ai fait deux autres tentatives, à 12 ans et à 14 ans, avec les somnifères que mon psychiatre m’avait prescrits, là encore sans succès. Seul résultat obtenu : 14 heures de sommeil d’affilé. Pas assez pour alerter mes parents…
Non, tout le monde ne veut pas mourir
Ces projets de suicides, je n’en parlais pas à l’époque. Cela me semblait normal de vouloir se suicider. C’est à 16 ans que j’ai découvert que les gens normaux ne se réveillaient pas en se demandant s’ils allaient se suicider aujourd’hui. Au lycée, j’ai changé d’environnement, de ville, je n’ai maintenu le contact qu’avec deux personnes de mon entourage, et j’ai pu alors me sociabiliser. Un des premiers trucs qui m’a choqué, c’était de découvrir que mes amis planifiaient des soirées deux semaines à l’avance. Je leur demandais : « Mais pourquoi ? Tu n’auras pas envie d’être mort dans deux semaines, comme tout le monde ? ». J’ai aussi réalisé qu’interrogés sur leurs ambitions, certains élèves réussissaient à se projeter dans un métier. Je n’étais définitivement pas comme tout le monde.
Un psy ne sert à rien si on ne sait pas qu’on est malade
Cette prise de conscience a été salvatrice. Un psy ne sert à rien si on ne sait pas qu’on est malade. Quand j’avais 10 ans, je ne comprenais pas pourquoi je devais y aller chaque semaine. J’ai fait une dépression entre mes 6 et 15 ans et atteint le stade de dépressif chronique. Un psychiatre m’a expliqué que cette maladie ne me quitterait pas jusqu’à ma mort. Toute ma vie la tentation du suicide tournera probablement autour de moi. J’ai enregistré le numéro d’SOS amitié en appel rapide sur mon portable, mais je ne les ai encore jamais appelés.
C’est après avoir réalisé que j’étais dépressif chronique que j’ai commencé à parler à mon entourage. A mes amis d’abord, en partie grâce à l’alcool. Ils ont été d’un grand soutien. Quant à ma famille, je lui ai avoué dans un moment de colère, au cours d’une dispute avec mon frère. Ma mère a fondu en larmes. Ils réalisent ce que j’ai vécu.
Avec le temps, j’ai développé un instinct de survie
Depuis, le suicide m’interpelle. Quand je vois quelqu’un qui va mal, j’essaye de lui parler, partager mon expérience. Je sais à quel point l’envie de suicide nait d’un profond sentiment de solitude. En allant le voir, je lui prouve qu’il n’est pas seul. Et en partageant mon expérience je lui montre qu’on peut aller mieux.
Aujourd’hui, j’ai perdu 20 kilos, repris des études de journalisme et je commence à travailler. J’ai une petite copine qui connait mon histoire. Je pourrais envisager d’être père, mais je préfèrerais adopter car mes enfants biologiques auraient 50% de chance d’être dépressifs à leur tour…
Avec le temps, j’ai développé un instinct de survie. Avant je traversais la route sans me soucier d’être percuté par une voiture. Dorénavant je fais attention à ma vie. Mais je n’ai pas peur de mourir non plus. Il ne pourra rien m’arriver de plus grave que ce que j’ai essayé de me faire. Qu’existe-t-il y a de pire que de vouloir se suicider à 10 ans ?
(Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat)
Lire aussi :
- Suicide, 5 idées reçues à déconstruire pour lever le tabou sur ce phénomène de société
- Quand un enfant se donne la mort
- Deuil après un suicide : un long processus
- Depuis le suicide de mon père, je rends, chaque jour, hommage à la vie