Laetitia, 47 ans, s’est inscrit sur le Registre National de refus de don d’organes. Elle nous explique les raisons de ce choix.
Qu’est-ce que je serai quand je serai morte ?
Une « personne » encore ? Un « cadavre » ? Un « défunt » ? Un « macchabée » ?
Contrairement à certains, je ne considère pas que mes organes seront des « morceaux » qui ne « servent plus à rien ». Et cette projection est le prolongement de la vision que j’ai (de mon vivant) de ce corps que j’habite. Je considère que je suis une « entité Corps-Esprit ». Je me vois comme « un Tout » !
Qu’on dise de moi que je ne « suis pas généreuse » parce que je suis inscrite sur le Registre National des Refus du Don d’organe ne me pose pas de problème… J’accepte l’idée d’être « mal vue » pour mon refus de don d’organes. Car, en mon for, intérieur quelque chose m’impose de suivre mon instinct.
« J’accepte l’idée d’être « mal vue » pour mon refus de don d’organes »
Qu’est-ce que c’est que ce « quelque chose » ? Une croyance ? Une idée ? J’ai cherché à le nommer…
Je me suis remémorée dans quelles circonstances j’avais décidé de m’inscrire pour dire non. J’étais jeune (une vingtaine d’années). Et j’avais alors plutôt une « belle idée » de la chose. Dans « don d’organes », il y a « don ». Je trouvais que c’était une idée noble de donner de soi, après la Mort (moi je le faisais beaucoup, de mon vivant).
À lire
Tous donneurs d’organes d’après la loi !
Mais ce jour-là, je suis tombée sur un article minuscule dans un journal. En 3 lignes, il était annoncé que la loi nous plaçait tous d’office comme des « donneurs ».
Comment ça, « la loi » ? Mais où était la notion de « don » alors !? Quelle place pour ceux qui souhaitaient faire le choix du refus de don d’organes ? Je me suis tout simplement sentie trahie ! Qu’est-ce que c’était que ce système qui faisait croire aux gens qu’ils avaient des idées nobles et généreuses… alors que dans le même temps -et sans qu’aucun débat national n’ait eu lieu- chaque citoyen avait le devoir (implicite !) de donner son corps… Le choc reçu me fit réagir tout de suite.
Je m’inscrivais – par principe – en opposition contre cette logique qui me semblait trop éloignée de l’idée que je me faisais de l’éthique.
Tout aurait pu en rester là… Les années sont passées. Et je n’ai jamais approfondi la question !
Et puis, plus de 20 ans plus tard, alors que je cherchais « la » bonne définition de la Mort, je suis tombée sur des informations stupéfiantes .
Une définition de la mort qui fait tilt
- Des articles parlant de ce Comité qui a décidé (pour les besoins en matière de don d’organes) de modifier la définition de la Mort au siècle dernier !
- Des papiers expliquant qu’il arrive aux morts de bouger (d’ « histoires funèbres qui posent une question de fond : comment est-il possible d’être déclaré mort cliniquement et de se réveiller » !)
- Des données médicales évoquant le nécessité d’anesthésier les morts avant le prélèvement d’organes (Ah bon ??!!)
- Des articles décrivant comment les « morts » (maintenus en vie artificielle avant le don) « transpirent, grandissent encore »(??)
- Des textes scientifiques commentant l’activation de certains gènes dans le corps, à la mort.
- Des articles trahissant l’ambiguïté du corps médical : avec ces « certificats de décès» actés à l’ instant même où l’on « débranche » le corps (délesté d’organes, et autres)… plutôt qu’actés au moment de la « mort » annoncée (des jours ou des heures avant).
- Des témoignages d’infirmiers travaillant au sein des structures de dons et qui – eux non plus – ne croient pas que ces corps -là sont bien morts… Etc. etc.
Moi, j’avais toujours cru qu’on prenait les organes sur les « morts »! Et les morts que j’ai connus sont froids, blancs et sans signe de vie. Mais on parlait là de morts à « cœur battant », de peau rose, de souffle… Avais-je loupé un épisode ? Je mesurais l’étendue de mon ignorance…
Oui, la « mort cérébrale » était aujourd’hui la « définition légale » et « médicale » pour déclarer la mort. Mais non, je n’y croyais pas ! Pour moi ces corps étaient à mi-chemin entre la Vie et la Mort : mais en aucune façon de «vrais morts » !
Et en matière de refus de don d’organes, je n’étais pas la seule… En cherchant bien, je découvrais que certains pays non plus n’y croyaient pas ! Que certains médecins occidentaux, non plus !
Je me mis à reconsidérer une fois de plus la mort de mon père sous un nouvel angle : comme j’étais heureuse (encore plus qu’avant ) qu’il soit mort sur sa plage préférée !
Car son corps n’avait pas été trouvé « à temps » pour être réanimé d’office et maintenu en vie artificielle pour devenir donneur potentiel (lui qui ne le souhaitait pas) ! Il était passé entre les mailles du filet…
Je restais ébahie après la lecture d’un texte médical expliquant que les non donneurs sont eux aussi placés d’office en vie artificielle « en attendant de… savoir les volontés » ! Quel manque de respect… Tout cela ne rimait à rien. J’avais envie de pleurer…
Rêver de mourir dans un coin perdu…
Bien sûr, je n’avais aucune intention de « convaincre » qui que ce soit des bienfaits du refus de don d’organes, et je continuerai de me porter garante des « volontés » des proches qui comptaient sur moi (ceux qui voulaient être respectés comme des donneurs une fois morts).
Mais les découvertes qui suivirent m’attristèrent encore plus…
Je renouvelais-en mon cœur- ce refus de « don » d’organes !
Et je me mis à rêver de mourir -moi aussi- dans un coin perdu ou je serai « introuvable » ! Ou le temps-qu’il-faut-pour-mourir me serait laissé d’office…
Sans aucune intervention humaine sur ce processus que j’espérais « naturel ».
Lire aussi :
- Donner son corps à la science : où s’adresser ?
- Don d’organes post mortem, quelles sont les démarches ?