J’avais 11 ans quand j’ai vécu une EMI (expérience de mort imminente), ce premier contact très personnel et intime avec la mort où, pourrais-je dire, avec la préciosité de la vie. J’étais en salle de réveil suite à une intervention chirurgicale classique et je ne me suis pas réveillée. J’observais la scène d’un coin du plafond de la pièce. J’ai mis du temps à réaliser que c’était moi qui regardais les médecins me réanimer. J’entendais crier : « Maryvonne, Maryvonne ». Je regardais les actes médicaux se dérouler sous mes yeux comme si j’étais au cinéma. Ce n’est que lentement que j’ai pris conscience que le corps qui était sur la table était le mien, que les gestes médicaux étaient effectués sur moi.
“Pendant mon EMI, j’éprouvais un grand bien être”
J’ai reconnu mes cheveux longs, mon visage tout rouge, mon corps, ma robe de nuit bleue et jaune lignée. Je m’inquiétais de réaliser qu’on voyait ma culotte. Je trouvais ça plutôt comique de me regarder, d’avoir sur moi un regard extérieur. Je me sentais particulièrement bien et apaisée, j’éprouvais un grand plaisir, un grand bien-être à être collée, en position fœtale, au plafond de la salle de réveil, sans peur de tomber.
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“J’avais l’impression de regarder une poupée”
Je détaillais le carrelage gris moucheté du sol et quand j’ai emménagé dans l’appartement dans lequel je vis actuellement, j’ai souri en voyant le même carrelage dans ma cuisine. J’ai réalisé, lentement, que le corps sur la table n’avait pas mal, n’était pas présent, je regardais une poupée.
Moi, Maryvonne, j’étais présente spirituellement, au plafond, mais sans corps. C’est une sensation très particulière, l’esprit existe sans le corps, laissé sur le côté et le ressenti est un plein apaisement, une grande plénitude.
Lire le témoignage d’une EMI négative
“A mon réveil, j’ai été déçue de réaliser que j’étais à nouveau une personne entière”
Je n’ai pas effectué de voyage allant de mon corps au plafond de la pièce, comme je n’ai pas effectué de voyage allant du plafond de la pièce à mon corps. Je me suis juste réveillée, assez déçue de réaliser que j’étais de nouveau une personne entière, le corps et l’esprit au même endroit et tout le monde autour de moi bien content que ce soit une happy end. Moi, je serais bien restée encore un peu au plafond, c’était si bien.
Revenue dans ma chambre, je me demandais si cela « se voyait », si mes parents allaient réagir, si je pouvais en parler, si on me croirait, si c’était normal, si si si …
« Mon EMI allait devenir le point de démarrage d’un long chemin de vie »
Je ne savais pas , à l’époque, que cet évènement serait le moment initiant un long mouvement de vie, une longue recherche vers la quiétude. Après cette expérience, la mort a commencé à faire partie intégrante de ma vie, mais de manière très positive. J’ai, petit à petit, acquis la pleine conscience de ma propre finitude. J’en a parlé ouvertement, inquiétant parfois mon entourage. Il m’était très difficile d’expliquer que c’était positif, que je n’étais pas suicidaire.
J’ai réalisé, plus tard, que c’était peut-être de ma part une vaine tentative de prendre le contrôle sur ma propre mort.
« Jeune adulte, j’ai rédigé mon faire-part de décès »
Jeune adulte, j’ai contracté une assurance décès, celle qu’on voit dans les publicités, cela me rassurait, je maîtrisais quelque chose. J’ai rédigé mon faire-part de décès (que j’actualise souvent), choisi les textes qui seraient lus le jour de mon enterrement, décidé de ma crémation. A 40 ans, j’ai fait une déclaration anticipative d’euthanasie, stupéfiant mon médecin (« Mais vous n’êtes pas malade ! » et moi de répondre : « Oui mais comme ça, c’est fait et je n’y pense plus ») et ma dernière étape a été de déclarer officiellement être donneuse d’organes. Je suis apaisée avec ce pan de la vie que j’ai communiqué à mon entourage proche.
« Dès qu’on naît, on est mortel »
Finalement dès qu’on nait (NAIT), on est (EST) mortel. Je pense que c’est bien d’accepter que la mort fait partie intégrante de la vie.
Bien qu’issue d’un milieu catholique pratiquant, je suis devenue athée convaincue : lors de mon expérience de mort imminente, mon corps sans mon esprit ne vivait pas et mon esprit sans mon corps matériel n’avait aucun intérêt à part celui d’être apaisé : l’un n’a pas de sens sans l’autre, le corps est une masse de cellules, l’esprit virevolte tout seul dans les airs. L’un ne s’exprime pas, ne vit pas, n’existe pas sans l’autre.
Depuis que j’ai vécu cette expérience de mort imminente, j’ai continuellement recherché à retrouver l’apaisement ressenti dans cet instant suspendu. C’est une sensation très particulière, vraiment rare : celle d’être bien, de se sentir bien, même si la vie se déroule à l’envers devant soi.
Pour retrouver ce bien-être, j’aurais pu choisir de me droguer ou de boire plus que de raison. Je n’y ai jamais pensé. Et c’est une chance, de mon point de vue.
« La philosophie a été un guide précieux sur ma route »
Vers l’âge de 20 ans, j’ai commencé par m’intéresser à la philosophie, bien que je décide de devenir criminologue et de ne pas réaliser un cursus de philosophie. J’ai trouvé en la philosophie une béquille, un guide sur ma route. J’ai retrouvé l’apaisement à la lecture de textes, j’ai ressenti un certain bien-être dans la rencontre des philosophes grecs et de leur conception de l’amour et de l’amitié. J’ai aussi beaucoup appris à la lecture des textes de Montaigne dont j’ai fait mien le rapport à la mort.
Quelques années plus tard, la vie a mis sur mon chemin l’apprentissage de la méditation. J’étais dans une phase de rupture. J’ai appris à vivre chaque journée comme une vie entière avec un moment de naissance, un moment de mort, un bilan toujours positif quoi qu’il se soit passé. Je pense pouvoir dire aujourd’hui que je vis ma vie en pleine conscience.
« Mon EMI s’est transformée en mode de pensée de vie »
Je ne choisis plus de m’arrêter pour méditer, je remarque que je médite de manière inconsciente dès que je le peux, c’est un réflexe acquis. Au volant, en écoutant de la musique, en me posant simplement dans un fauteuil, en regardant les oiseaux dans le ciel ou en les écoutant chanter, lors de promenades, en buvant un café, en écrivant et en relisant ce texte …
En choisissant cette manière d’aborder la vie, en adoptant, sans me décorporer, une position extérieure aux évènements, je suis très souvent apaisée, sur un nuage, je me sens libre comme l’air … un peu comme quand j’étais collée au plafond de la salle d’opération. La vie est simplement belle…
Cette expérience de mort imminente fut , finalement, pour moi, une expérience de vie imminente. Ce qui aurait pu être vécu comme une petite catastrophe s’est transformé, tout au long d’un parcours de plus de 35 ans, en un mode de pensée et de vie.
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