Face à la douleur de l’autre, on se trouve souvent désemparé, et on se sent impuissant. On craint aussi de commettre des maladresses. Le texte de deuil peut remplacer les mots pour réconforter une personne en deuil. Voici 3 beaux exemples.
« J’ai toujours cru à la beauté de l’effondrement, à son utilité publique. Quiconque se croit fort est d’une fragilité inégalable. Hier soir, je me suis effondré. Comme une étoile qui s’effondre sur elle-même, pour se recréer, pour se sentir, pour mourir, donc vivre, pour n’être plus rien, donc tout. Pour cesser de jouer à l’étoile et se rendre à son incapacité d’être ce qu’on attend d’elle.
Je me suis effondré à moi-même, j’ai croulé sous mon masque, et j’ai enfin souri à mon incapacité d’être autre chose que ce que je suis. S’effondrer c’est se rencontrer, s’éprouver, s’expérimenter. Il ne faut pas être fort pour aider l’autre, il faut être en mesure de se regarder s’effondrer et rire de cette insoutenable expiration. Ce soupir qui dit que je ne dois plus rien. Et s’expirer encore et encore. Sans cela, comment pourrais-je inspirer ?
Je revendique la capacité et le droit à l’effondrement pour me rencontrer, sans quoi je ne pourrais pas te rencontrer, pour aller te chercher dans ton effondrement, et inspirer ensemble. Je ne peux te rencontrer qu’aussi profondément que je m’autorise à me rencontrer moi-même. Hier soir, je me suis rencontré, un peu plus profondément. Effondrons-nous, car c’est là où nous rencontrerons ceux qui savent s’effondrer en souriant, qui connaissent le chemin du Soi. »
Texte deuil : Par un Curieux Hasard, de Stephan Schillinger
Perdre un enfant, c’est un coup de hache. C’est la violence et la cruauté. C’est une chute. C’est un ravage. C’est se perdre un peu plus chaque jour.
Le deuil d’enfant serait-il ainsi par essence mélancolique ? Perdre un enfant, c’est perdre le désir et la joie. C’est perdre une continuité d’existence. C’est perdre un avenir que l’on croyait fécond. C’est perdre l’espoir.
Le deuil, c’est alors « travailler l’inespoir ». C’est accueillir le grand vide en soi. C’est accepter la perte de l’insubstituable… C’est une frustration à nulle autre pareille.
Le deuil, c’est une solitude. C’est une dette qui semble infinie. C’est chercher des raisons à notre dévastation soudaine.
Le deuil, c’est se confronter à tout ce qui disparaît avec l’être aimé. C’est repousser le néant. C’est se tenir au seuil de la porte que votre enfant a franchie, mais renoncer à l’ouvrir.
Le deuil, c’est aller dans le sens de l’impuissance. C’est un doute, un questionnement incessant. C’est un long ressassement, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre…
Le deuil, c’est accepter ce compagnonnage obsessionnel long et harassant. C’est se libérer, maillon après maillon. C’est admettre notre inutilité face au mort. C’est lui faire une place de mort.
Le deuil d’enfant, c’est la pire des nostalgies. C’est se faire vague quand la vague cherche à vous emporter. C’est ne pas lutter contre le courant.
Le deuil, c’est trouver un nouvel ordre. C’est la fin d’un monde et le début d’un autre.
Le deuil, c’est se défaire de la chair de son enfant. C’est lui pardonner d’avoir déserté la vie que nous lui avions donnée. C’est apprendre à pérenniser notre amour pour l’enfant perdu. C’est perpétuer un souvenir non douloureux.
Le deuil, c’est un dialogue avec l’enfant perdu. C’est une patience éprouvée. C’est un douloureux voyage dans le temps C’est relier le passé au présent et à l’avenir. C’est chavirer, parfois, mais ne pas renoncer à naviguer.
Le deuil, c’est rêver, imaginer, s’inventer d’autres représentations. Mais c’est un repentir, parfois.
Le deuil, c’est accueillir la colère puis la dépasser. C’est renoncer à obtenir les réponses à toutes nos questions. C’est ne plus voir la mort comme scandaleuse.
Le deuil, c’est une plainte qui s’épuise. C’est ne plus attendre que notre enfant revienne. C’est accepter que celui qu’on aime encore et qu’on aimera toujours ait sa place de mort. C’est accepter ces grands écarts quotidiens entre les vivants et le mort.
Le deuil, c’est du temps, beaucoup de temps pour que la perte devienne moins douloureuse, et pourquoi pas féconde.
Le deuil, c’est inviter les morts à danser. Mais la mélancolie, c’est conjuguer le verbe perdre au présent pour toujours…
Texte deuil extrait du livre Le temps de la perte, de Catherine Audibert
Au plus profond d’un deuil, réapprendre à vivre, se reconstruire, apparaît comme impossible. Mais vivre, c’est savoir quitter les choses et les personnes, accepter de se situer dans le fleuve du temps, apprendre à devenir “autre”, abandonner ses anciennes positions, et rester en même temps soi-même. Ce qui peut apparaître comme inaudible les premiers temps se fera pourtant jour, peu à peu.
Se reconstruire après le deuil c’est permettre à toute l’énergie vitale partagée avec les personnes disparues de se transformer en d’autres investissements. Il s’agit d’une transmutation de l’énergie de la douleur en énergie plus heureuse. Au détour de ce processus, le bonheur tout simple d’exister renaît. Le goût précieux de la vie retrouvée est d’une nouveauté extraordinaire. Car le deuil est avant tout un deuil de mémoire.
Cette mémoire, quand elle souffre, souffre seule. La mémoire doit d’abord “accepter” cette rupture plus forte que son affection. Le temps du cœur et celui de la réalité sont de deux ordres différents. La mémoire, dans son travail de deuil, est tiraillée entre ces deux ordres. Le “choc du réel” est là évident : celui qui est vivant est maintenant mort. L’incroyable est à croire, l’impensable à penser. La mémoire est brutalisée : un formidable travail d’information s’opère. Une rupture s’est établie dans la chaîne du temps. Ce qui était autrefois n’est plus. La mémoire affective, sous peine d’être détruire, ne peut accepter en une seule fois une telle remise en cause.
Texte extrait du livre Le grand livre de la mort, texte de Jacques Arènes
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