Torajas d’Indonésie : déterrer les morts pour les sentir près de soi 


Sur l’île indonésienne de Sulawesi, les funérailles impliquent une grande fête au cours de laquelle sont sacrifiés des buffles pour accompagner les âmes des défunts et des porcs pour nourrir l’assemblée. Plus le nombre de buffles sacrifiés est important, plus le voyage sera facilité pour l’âme du défunt.

Chez les Torajas, on croit aussi que les morts ont le pouvoir d’influer l’agriculture, il est donc important de se concilier leurs faveurs et de les célébrer richement. Cette fête est très coûteuse, et réunir les finances nécessaires peut prendre des mois, voire des années aux familles.

Les corps sont conservés à la maison

Dans l’intervalle, les corps des défunts sont conservés à la maison, embaumés au moyen de techniques traditionnelles et de formol. La fête d’obsèques durera plusieurs jours ponctués de rituels et de banquets fastueux. Elle se clôture avec le sacrifice des buffles, dont le sang est une porte entre les mondes. Les corps mis en cercueil sont ensuite enterrés, placés dans une niche ou accrochés à flancs de falaise.


Les Torajas font revenir les morts parmi les vivants

Mais la proximité des Torajas avec leurs morts ne s’arrête pas à cette période  de “cohabitation” avant les funérailles. Tous les trois à cinq ans, on fait littéralement revenir les morts parmi les vivants. A cette occasion, les corps momifiés sont sortis de leurs cercueils, lavés et rhabillés de neuf puis promenés et exposés en position verticale autour du village et dans les maisons. Comme s’ils faisaient encore partie de ce monde, on leur raconte des histoires, on leur prépare des plats, on les fait danser, fumer une cigarette, dans un esprit beaucoup plus joyeux que solennel. Ils sont réinvités avec tendresse et familiarité dans le quotidien, estompant pour un moment la frontière entre vivants et morts.

Comment s’en inspirer ? Inviter joyeusement les disparus dans nos gestes

Il est impensable dans nos cultures d’organiser des retrouvailles rituelles avec les restes des défunts. En revanche, nous pouvons manifester symboliquement ceux qui ne sont plus là dans nos gestes et nos actions et avoir des temps particuliers dans l’année pour réduire la distance (lire notre portrait d’Elise Petit, ritualiste qui nous aide à organiser des célébrations de vie).

Un lien qui se réinvente plutôt qu’une séparation à acter

Vinciane Despret explore dans son livre Au bonheur des morts ce lien si particulier qui perdure entre les vivants et leurs proches disparus. Une approche intéressante qui perçoit dans le deuil un lien qui se réinvente plutôt qu’un processus de séparation à terminer. Il y est beaucoup question d’expériences joyeuses et tendres.

Cela peut être de voir le monde avec leurs yeux, poursuivre un projet en leur mémoire (faire écrire leur biographie avec l’aide d’un biographe par exemple), préparer le plat qu’ils aimaient, refaire leurs gestes, se souvenir de leurs petites habitudes, adopter une expression bien à eux ou utiliser certains de leurs objets, comme cette femme citée dans le livre qui voyage chaussée des souliers de sa grand-mère pour continuer à lui faire découvrir le monde…

A découvrir aussi en complément à cet article, le merveilleux poème « Ancêtres » de Laurence Vielle, poétesse Belge qui a assisté au rite du déterrement des morts lors d’une résidence d’écriture en Indonésie. Il nous invite à explorer à notre manière ce qui rend présents les absents.

Florence Plissart est poète et artiste. A travers L’Aventurine, des croquis de vie à l’encre vive, elle  propose de rendre hommage à votre défunt en le racontant d’une façon originale et artistique.

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