Durant leur carrière, nombreux sont les enseignants confrontés à des élèves orphelins. Laure Salomé, psychologue chercheure à la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs a réalisé en 2022-2023 une étude sur la base de 25 entretiens semi-directifs auprès d’enseignants de la maternelle au lycée. Cette étude portant sur la scolarisation des jeunes orphelins est réalisée avec le soutien de la Fondation OCIRP et à paraître dans La revue internationale de l’éducation familiale.
Les enseignants interrogés sont âgés en moyenne de 47 ans, 92% sont des femmes et 18% sont des hommes. Ils possèdent en moyenne une expérience professionnelle de 19 ans et exercent pour moitié dans le public et pour moitié dans le privé.
Laure Salomé nous éclaire sur ce qu’a révélé cette étude.
Qui sont ces jeunes et que sait-on, dans la recherche francophone, sur leur vécu ?
« Un orphelin est un enfant, adolescent ou jeune de moins de 25 ans ayant perdu un ou ses deux parents. En France, on compte environ 610 000 orphelins, ce qui représenterait en moyenne un élève par classe. Cette situation a des répercussions multiples d’ordre affectif, relationnel, familial, social et scolaire qui influent profondément leur parcours de vie. Selon une étude conduite auprès de 1 423 individus devenus orphelins au cours de leur scolarité (élèves du premier et du second degrés), il ressort que ceux-ci souhaitent majoritairement ne pas dire mais faire savoir (Fondation OCIRP, 2017). C’est tout le paradoxe des élèves orphelins. »
Vous vous intéressez à la façon dont les enseignants vivent cette expérience : pourquoi ?
« La confrontation à l’orphelinage constitue une situation fréquente dans une carrière enseignante et l’accompagnement de l’élève orphelin s’avère un enjeu important pour l’équipe éducative. Pourtant, les enseignants ne disposent pas toujours de l’information ni de la formation (initiale et continue), et se disent démunis lorsqu’ils sont confrontés à la situation. L’objectif de notre étude était donc de documenter, de façon exploratoire, leurs représentations des élèves orphelins, comment ils appréhendent leurs besoins, et les incidences sur leur posture professionnelle. »
Cette situation s’avère, dites-vous, déstabilisante et suscite des ambivalences émotionnelles : de quelle nature ?
« Selon les enseignants, ces élèves ont des besoins notamment d’écoute, d’attention, de se confier, mais ils recherchent dans le même temps de la discrétion et de la normalité. Cette dimension singulière crée une certaine ambivalence pour les enseignants entre des souhaits et des appréhensions, comme celles d’être présent sans trop l’être, ou de ne pas mélanger ce qui relèverait du domaine professionnel et du domaine personnel. Cette ambivalence s’exprime par la préoccupation constante qu’ils ont à rester ou à ne pas « sortir » de leur rôle d’enseignant par des pratiques spécifiques, de la proximité affective, ou sur le plan émotionnel, en essayant de ne pas se laisser envahir par leurs propres émotions ou celles de l’élève. »
Malgré leur manque de formation, les enseignants interrogés disent s’ajuster à ces situations et font part de créativité. Comment cela se traduit-il ?
« Les enseignants mettent en avant des ajustements, avant tout relationnels. En effet, ils expriment porter une « attention particulière » à ces élèves, se disant particulièrement vigilants voire indulgents avec eux et veiller à leur bien-être. Cette attention se manifeste aussi à des moments particuliers : au moment du décès, par une attention, leur présence aux obsèques, ou lorsque l’élève est débordé par ses émotions. Par ailleurs, les enseignants évoquent leur capacité à faire face dans ces situations. Ces capacités s’expriment de différentes façons, comme lorsqu’ils annoncent le décès d’un parent au reste de la classe et prennent en charge les réactions émotives. Si les protocoles d’accompagnement institués semblent rares, les enseignants sont d’autant plus à l’aise lorsqu’ils se sentent entourés et soutenus par les collègues, mais aussi par des personnes ressources telles que la psychologue ou la direction. »
Quelles sont les pratiques observées parmi les équipes enseignantes ? (Communication à l’équipe éducative ? Avec les parents ? annonce à la classe ?)
« Une majorité des enseignants interrogés, notamment au niveau du collège ou du lycée, décrivent un manque d’information à propos de la situation de l’élève précisant qu’il n’est pas rare que l’information ait été découverte par surprise, parce que la transmission de l’information n’avait pas été faite, notamment d’une année sur l’autre. Cette situation est différente au niveau de la maternelle et du primaire, où l’information est transmise et fait souvent l’objet d’une communication au sein de l’équipe éducative. Une fois l’information connue, les enseignants s’expriment aussi majoritairement sur leur capacité à transmettre celle-ci au reste de la classe et à prendre en charge les réactions émotionnelles. Ils indiquent aussi l’importance de pouvoir parler du jeune, notamment avec le parent restant, pour pouvoir mieux l’accompagner, ce qui n’est pas toujours évident et systématique, notamment au niveau du collège-lycée. »
Quels besoins expriment l’enfant et sa famille le plus souvent ? Dire ou ne pas dire ?
« Les besoins exprimés sont souvent aussi ambivalents, avec à la fois un besoin d’écoute et d’attention exprimé et dans le même temps, une recherche de discrétion et de normalité. Ces résultats viennent confirmer les données de l’étude précédemment citée. Dans celle-ci, 31 % des élèves ne voulaient pas en parler et 30 % ne voulaient pas qu’on leur en parle. En effet, lorsqu’un élève devient orphelin, il n’a pas envie d’être exposé au regard des autres. S’il souhaite que l’information soit donnée à l’équipe éducative de son établissement, cela ne signifie pas pour autant qu’il ait envie d’en parler et qu’on lui pose des questions. »
Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui apprend qu’un élève dans sa classe est orphelin ?
« Il semble important que l’enseignant puisse échanger avec lui en toute discrétion pour lui manifester la prise en compte de sa situation et lui permettre de pouvoir s’exprimer sur celle-ci s’il le souhaite. Il pourra ainsi s’informer sur les souhaits de l’élève, notamment quant au reste de la classe. Dans le même temps, il pourra prendre contact avec le parent restant pour mieux connaître ses attentes et ses besoins dans l’objectif d’accompagner au mieux l’élève orphelin. Pour finir, il pourra relayer, si ce n’est déjà fait, l’information à l’équipe enseignante et veiller à ce que celle-ci soit transmise aux collègues l’année suivante. »
Pour en savoir plus sur cette étude :
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