« Au coeur de la pandémie de Covid-19, les restrictions de visites dans les unités de soins palliatifs ont observé des conséquences psycho-pathologiques majeurs sur les familles », expliquait Axelle Van Lander, docteur en psychologie, à l’occasion du Colloque Deuil organisé par Audiens. « La solitude peut tuer. Une personne seule ne peut pas survire même au milieu de professionnels et de soignants bienveillants. » Plus que jamais, les personnes en fin de vie ont besoin d’être entourées, choyées et accompagnées dans leurs derniers instants. Depuis quelques années, ce besoin a fait naître de nouveaux métiers de l’accompagnement de la fin de vie. Des biographes hospitaliers recueillent les souvenirs de patients en fin de vie, les Neztoile apportent joie et rires dans les unités de soins palliatifs et les doulas, référentes de l’accompagnement de fin de vie offrent une présence et une écoute précieuse au seuil de la mort. Trois d’entre elles ont accepté de partager leurs expériences.
Claire Morinière, death doula, femme sage et accompagnante en périnatalité
Il faut prendre soin d’une personne en fin de vie comme d’un nouveau né
Depuis toute petite, j’ai été mise face à la mort d’une manière assez joyeuse. Elle a toujours fait partie de ma vie, comme une évidence. Pas étonnant que je me sois orientée vers des métiers de l’accompagnement : je suis doula de fin de vie mais également sage-femme traditionnelle. Deux métiers opposés mais pourtant si proches. Un jour, un papa en salle de naissance a dit cette phrase qui résume tout : « Quand j’ai aperçu mon enfant pour la première fois, c’était comme lorsque j’ai observé les yeux de ma grand-mère pétiller avant qu’elle ne les ferme pour toujours ».
Voilà pourquoi il faut prendre soin d’une personne en fin de vie au même titre qu’un nouveau-né. La naissance et la mort se font écho.
Quand les émotions sont trop fortes, je pleure avec les familles
On me demande souvent « comment tu fais pour côtoyer la mort tous les jours » ? Pour moi, l’accompagnement de fin de vie est ancré dans le quotidien. Écouter la vie et le vivant est un processus qui me permet de rester au bon endroit et à la bonne place. Lorsque j’ai besoin de me retrouver dans ma bulle et d’extérioriser, je fais de l’apnée. Je plonge dans une piscine et j’arrête de respirer pendant plusieurs minutes au fond de l’eau. Ça m’apporte beaucoup d’apaisement et ça me permet de laisser partir ce qui doit partir. Je sais prendre du recul sur mes accompagnements.
Parfois, il y a certains patients ou certaines familles avec qui il m’arrive de pleurer. Lorsque c’est le cas, je laisse les larmes déborder et couler car je reste humaine. Je ne rentre pas chez moi le soir en me disant que j’ai porté un masque toute la journée et que maintenant je peux m’écrouler. Si les histoires me touchent, je laisse ma partie humaine s’exprimer.
À lire : Accompagner un enfant en fin de vie, un processus douloureux
Écouter l’envie de mourir d’un proche est difficile
Ce dont les personnes en fin de vie ont le plus besoin, c’est d’une oreille attentive. Une pleine écoute que les proches ne fournissent généralement pas. Ce n’est pas une tâche facile d’entendre une personne qui vous est chère dire : « je suis fatigué, je veux mourir ». La famille ne peut pas recevoir et accepter ce genre de propos. Elle va essayer de le convaincre de faire ceci, cela etc. À une professionnelle des métiers de l’accompagnement, ils peuvent le dire. Sans attachement émotionnel, il est plus facile d’accueillir ces paroles. Mon travail, c’est aussi d’aider à la famille à écouter son proche en fin de vie. Généralement, lorsque je suis auprès du patient, la famille l’est également. J’agis alors comme une médiatrice. Je vois ou j’entends les propos que la famille souhaite dire et je les aide à les mettre en mot.
Avec mon grand-père, j’avais signé un pacte : l’accompagner jusqu’à la mort
L’accompagnement de mon grand-père m’a particulièrement marqué. Il m’avait demandé d’être là pour l’accompagner jusqu’à son dernier souffle et de l’aider à prévoir les vêtements qu’il porterait lors de ses funérailles. On avait signé un pacte. Je devais lui tenir la main jusqu’à la fin et c’est ce que j’ai fait. J’étais auprès de lui lors de ses derniers instants de vie. On a respiré ensemble, car c’était la dernière chose qu’il pouvait encore faire. Ses autres sens ne fonctionnaient plus. On a fait des apnées de plus en plus longues. Il a pris une grande inspiration, il a regardé par la fenêtre et une hirondelle est passée. J’ai su que c’était la fin.
Les citations de Claire : La mort d’un ballon rouge ressemble à la naissance d’un coquelicot de Geramine Bamont.
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Roxane Remy, death doula et accompagnante du deuil
Une présence physique et solide pour rassurer et orienter
À cette période, j’ai retrouvé une des formatrices avec qui j’avais travaillé sur le deuil périnatal. Elle voulait proposer une formation sur le deuil et la fin de vie. Rapidement, j’ai fais parti des premières accompagnantes à recevoir toutes les connaissances sur les sujets de la mort, du deuil, de la fin de vie, son impact sur le corps… Il y avait plein de choses à inventer dans l’accompagnement de fin de vie.
Dire ses angoisses, ses regrets, ses envies permet de partir plus légèrement
Pour accompagner de la meilleure façon, j’écoute les principaux intéressés. Comme la naissance, lorsque l’on s’apprête à vivre quelque chose qu’on ne connait pas, on aime être préparé. Le fait de pouvoir parler de leurs angoisses, de la joie, de la religion, des leurs envies, de leurs regrets leur fait du bien à eux et à leur entourage. Je suis un peu comme le bol qui accueille tout ça. Les patients se sentent plus léger, comme si ils avaient moins de choses à transporter avec eux à leur décès.
À lire : Elle chante la vie des patients en fin de vie
Entre consoeurs, on partage nos peurs, nos joies et nos difficultés
Au quotidien, j’ai mes petits rituels pour mieux vivre mon métier d’accompagnement de fin de vie. Par exemple, j’écoute souvent une musique avant ou après mes rendez-vous quand il ont été plus difficiles. Je l’ai découverte au cours de ma formation avec le collectif Couleur Plume. Elle me donne beaucoup de force et me permet de me sentir liée aux autres doulas de fin de vie. D’ailleurs, lors d’accompagnements particulièrement difficiles, je peux compter sur elles. Une fois par an, toutes les doulas de la formation se retrouvent pour un week-end et au cours de l’année, nous échangeons régulièrement.
La citation de Roxane : Les vivants ferment les yeux des morts et les morts ouvrent les yeux des vivants.
Témoignage : J’ai fais appel à un doula pour mieux vivre la mort de ma mère
Vous travaillez au contact de personnes en fin de vie et de leurs familles ? Vous souhaitez être formé.e pour mieux les accompagner ? L’organisme de formation Happy End vous propose différentes formations adaptées à votre profil.
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Clémentine Blondon, death doula
La fin de vie est un moment où beaucoup d’amour circule
Je pense notamment à une dame que j’ai accompagné pour sa courte fin de vie. Elle était hospitalisée depuis plusieurs semaines et n’avait plus que quelques jours à vivre. On venait de lui annoncer. C’était en période de COVID, les visites étaient limitées et compliquées. Elle n’avait pas d’enfant et ses neveux ont fait appel à moi. J’ai passé beaucoup d’heures à l’hôpital, à la masser et à lui chanter des chansons pour l’apaiser. Je n’ai passé que 2 jours auprès de cette femme, mais l’intensité de ces moments, et l’amour que nous nous sommes donné reste gravé dans ma mémoire.
Une présence tranquille, douce et disponible
Je suis aussi là pour écouter, aider et accueillir les émotions des proches. Mais aussi les éclairer sur ce qui se passe, par des explications simples sur le processus de deuil. Ils me disent souvent que mon soutien et les espaces que je leur offre leur permettent d’être plus solides et plus disponibles pour leur proche. Ils se préparent ainsi plus sereinement à son départ.
Lire aussi : Death doula : accompagner la mort comme on accompagne la vie
Pouvoir partir en paix est primordial
Les personnes en fin de vie meurent plus sereinement quand elles ont pu laisser derrière elles la culpabilité, les regrets ou des préoccupations logistiques et administratives. Certains se délestent d’un secret-fardeau, d’autres écrivent une lettre d’excuse à un proche, ou bien se réconcilient avec une sœur. D’autres encore préparent leurs funérailles dans les moindres détails… Dans tous les cas, l’objectif est le même, pouvoir partir « en paix ».
Ils ont également fait un chemin vers l’acceptation de leur mort. Lorsqu’un diagnostic de fin de vie est posé, la personne entame un processus de deuil, celui de sa propre vie. C’est un chemin plus ou moins long, avec beaucoup d’émotions. S’il se déroule bien, les personnes meurent dans l’acceptation, et parfois même le soulagement.
Enfin, il est important de se sentir en confiance et en sécurité là où l’on se trouve et avec les personnes qui nous entourent dans ce moment particulier. Mais certains préfèrent mourir seuls, en tout intimité. Quand on exerce dans les métiers de l’accompagnement, on peut les aider à créer l’environnement idéal à chacun.
La citation de Clémentine : Il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie d’Anne-Dauphine Julliand.
Je suis infirmier retraité.
Un soir en venant faire un soin, je me suis « contenté » d’accompagner une dame dans ses derniers instants de vie. Ça a été une merveilleuse expérience… Un autre soir alors que je venais exécuter un soin, je me suis retiré au bout de 2 à 3 minutes reportant le soin à plus tard, après avoir créé un moment d’intimité « sacrée » entre une dame et sa mère dont la fin était proche.
Ces deux événements constituent les deux plus beaux souvenirs de ma carrière, et je ne peux que vous souhaiter de connaître au moins une fois un tel bonheur. C’est merveilleux.
Merci pour votre action, et bon courage.