Le deuil est un processus qui initie de profonds changements dans la vie d’une personne. Lorsque le besoin s’en fait sentir, il est bon d’obtenir un soutien pour mieux l’appréhender et le traverser. Les thérapeutes de deuil sont spécialisé·e·s dans ce genre d’accompagnement. Quatre d’entre elles nous ont partagé les raisons de leur engagement au service des personnes endeuillées ainsi que leur quotidien. Découvrez leurs témoignages.
Laurence Picque
Le deuil et l’accompagnement de fin de vie font presque partie de mon ADN
La première personne que j’ai vu morte était ma grand-mère paternelle à l’âge de 8 ans. J’ai découvert la mort à ce moment-là. C’était paisible car elle s’est endormie dans son sommeil. Mais par la suite, les circonstances de la vie ont fait que j’ai perdu beaucoup de membres de ma famille. Ça a commencé par le décès de ma mère, que j’ai pu accompagner dans sa fin de vie, morte des suites d’un cancer lorsque j’avais 13 ans. Puis à 30 ans, je devenais orpheline de père et de mère. Finalement, le deuil et l’accompagnement de fin de vie font presque partie de mon ADN.
Par la suite, j’ai donc suivi des études de psychologie mais j’ai rapidement remarqué que je n’étais pas encore apte à accompagner. Cette prise de conscience m’a fait dire qu’il fallait que je me forme à l’accompagnement au deuil. Après onze années de bénévolat dans une association qui fait de l’accompagnement de fin de vie et de deuil, j’en ai fait ma spécialité en 2014. Je suis thérapeute de deuil depuis et j’accompagne la fin de vie, le deuil et toutes les formes de vulnérabilités qui amènent un changement de repère.
Les thérapeutes de deuil font le ménage dans leur propre vie
Non, l’accompagnement n’est pas quelque chose de difficile à vivre car il m’est familier. Il se trouve que j’ai moi-même travaillé sur mes propres deuils. En tant que professionnel, déontologiquement, il est important d’avoir fait le ménage dans sa propre vie avant de décider d’accompagner. À titre personnel, j’ai suivi deux thérapies. Lorsque je reçois quelqu’un, qui a perdu une mère, un père ou une grand-mère, les résonances avec ma propre histoire sont closes. Et si toutefois cela avait toujours un impact sur mon travail, je suis supervisée par un autre psychologue superviseur qui agit comme un garde fou. C’est un gage de sérieux et de professionnalisme. On ne peut pas se permettre de projeter ses propres histoires dans la vie des autres.
“Quand vous êtes en face de quelqu’un, vous plongez dans son histoire »
Je n’ai pas à me protéger de l’autre. Lorsque je reçois une personne en souffrance, c’est sa souffrance à elle qui m’est projetée. Mon rôle est de l’accueillir et de l’accompagner. En tant que psychothérapeute, on entend souvent qu’il faut avoir une neutralité bienveillante. Mais celle-ci pose une sorte de barrière entre le professionnel et le patient. Pour moi, c’est un leurre.
D’ailleurs, ça me fait penser à une phrase que j’aime beaucoup “quand vous êtes en face de quelqu’un, plongez dans son histoire ». En tant que thérapeute du deuil, on plonge dans l’histoire du patient car l’on ressent de l’empathie. C’est humain, j’accompagne avec humanisme et humanité. L’important c’est d’être vigilant et de garder un pied au bord du puits pour pouvoir l’aider à remonter. Rester froide ou distante face à la souffrance, cela peut gêner la qualité de l’accompagnement. Cela ne veut pas dire que l’on va s’effondrer avec la personne évidement. L’important, c’est de l’écouter et d’accueillir sereinement cette souffrance. Être un contenant, un support pour l’autre, c’est mon rôle.
L’humain a des ressources incroyables
Lorsque je travaillais en tant que bénévole, j’ai reçu, avec une collègue, une dame qui venait de perdre sa fille de 16 ans d’un potentiel suicide. Elle était dévastée et elle était dans un tel état de souffrance qu’elle a souhaité obtenir une aide. Elle a donc consulté un psychiatre qui lui a prescrit des médicaments. Lorsqu’elle est venue nous voir, la première chose qu’elle nous a dit était “je veux pouvoir pleurer ma fille”. Elle exprimait de la difficulté à ne pas pouvoir la pleurer car son traitement l’anesthésiait émotionnellement. Elle voulait être là pour soutenir sa deuxième fille.
Pour moi, cette rencontre a été une grande leçon de vie. Son instinct de mère était tellement fort qu’il l’a aidé à reprendre sa vie en main et à ne plus subir la situation. En réalité, l’humain a des ressources incroyables. Lorsqu’il est dévasté, il n’en a plus conscience. Mon rôle est de les rappeler et de les faire redécouvrir.
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Sophie Laurent
« J’ai pu constater à quel point il était important pour eux d’être soutenus et écoutés »
Comme tous les enfants, j’ai le souvenir d’interrogations profondes autour de la mort. Le décès brutal d’un camarade d’école quand j’avais 8 ans a renforcé ce questionnement qui, depuis, n’a jamais cessé. Je lisais d’ailleurs un livre sur les expériences de mort imminente quand on m’a appelée pour m’apprendre la mort de mon père.
J’ai ensuite vécu plusieurs deuils, dont celui d’un homme que j’aimais profondément. Ce départ a été particulièrement douloureux. Je n’ai d’ailleurs pas mesuré à l’époque combien j’avais été impactée. Devenue thérapeute, j’ai eu l’opportunité d’accompagner des personnes gravement malades à l’hôpital qui passaient souvent par des étapes similaires à celles des endeuillé.e.s. J’ai aussi rencontré leurs proches et constaté combien il était important pour eux d’être soutenus et écoutés. Combien l’expression des émotions que l’on soit malade, mourant ou en deuil était essentielle. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi d’accompagner la maladie, la fin de vie et le deuil
S’autoriser à manifester ses émotions est primordial
Un accompagnement que j’ai réalisé m’a particulièrement marquée. Celui d’une jeune femme ayant perdu un enfant à la naissance. Dans sa famille, on lui disait de prendre sur elle, d’aller de l’avant et d’être forte. On lui a dit » Tu en auras un autre ! « , » De toutes façons tu l’as même pas connu ! « . C’était terrible d’avoir ce chagrin immense et de subir tant d’injonctions. La douleur était bloquée, refoulée voire interdite. Elle culpabilisait de ne pas réussir à passer à autre chose… Ça a été un accompagnement très émouvant parce qu’au delà du deuil, il y a eu ce chemin qu’elle a fait pour s’autoriser à ressentir et manifester ses émotions. Cela a initié de profonds changements dans sa vie.
La pression de l’entourage peut être destructrice
L’expression des émotions semble faire peur. On parle de « gestion des émotions » comme on parle de gestion de comptes bancaires ! C’est dingue. L’émotion est la marque de notre humanité. L’ignorer ou la refouler ne peut que nous faire du mal. En cas de deuil, il est essentiel de sentir autorisé à exprimer ses émotions sans jugement. L’entourage doit comprendre que le deuil ne se gère pas, ne se fait pas mais que c’est un processus qui demande du temps. Il y a souvent une pression de l’entourage pour « passer à autre chose », pour être soit-disant « fort.e ». Ce peut être très destructeur.
Bien sûr, chaque endeuillé.e, chaque deuil, est différent. Il est difficile de trouver des mots généraux. Quand on est face à une souffrance si grande et si dévastatrice, il faut parfois accepter de ne pas avoir les mots. Il faut simplement être là, dans un échange authentique, de coeur à coeur. Offrir à l’autre un espace de sincérité et d’écoute, parfois, c’est tout ce qu’on peut faire. Les mots viendront ensuite. C’est ce que les thérapeutes de deuil proposent.
Pour trouver un·e thérapeute de deuil, consultez notre annuaire en ligne.
Sophie Poupard-Bonnet
L’accompagnement du deuil est une de mes missions de vie
L’accompagnement des personnes en deuil, c’est une de mes missions de vie. J’ai mis plusieurs années à m’en rendre compte, alors que c’était là depuis mon adolescence. Mon activité est partagée entre mon cabinet et différents partenaires pour lesquels j’anime des groupes de parole pour des personnes en deuil, en plus des séances individuelles. Je suis aussi bénévole pour des associations d’accompagnement du deuil. De mon point de vue, un des pré-requis pour accompagner, c’est d’avoir fait un travail sur soi, de continuer quand le besoin s’en fait sentir, et d’être formé et supervisé. Bien sûr, je suis touchée par les témoignages de mes clients, mais mon travail consiste à les accompagner, et non à projeter mes histoires sur eux.
Se faire accompagner, ce n’est pas oublier celui qu’on a aimé
Certaines personnes ont des proches à qui parler et d’autres pas. Parfois, on se dit que notre entourage ne souhaite plus entendre parler de notre histoire de deuil car le temps a coulé, qu’on est censé passer à autre chose. On peut aussi être rongé par la colère et la culpabilité. Pour ces raisons, en parler est un premier pas qui aide à cicatriser les blessures. Faire le choix d’être accompagnée, ce n’est pas oublier celui qu’on a aimé. Ressentir de nouveau de la joie ne veut pas dire trahir. Pouvoir raconter ce deuil, exprimer ses émotions à un professionnel de l’accompagnement, ne fera pas revenir le défunt. Mais cela vous permettra de mettre des mots sur votre histoire plutôt que de la maintenir au fond de vous. Apprendre à vivre avec cette absence est un long chemin, mais on y arrive.
Être conscient de ses limites est une force
Je n’ai jamais accompagné une personne dans un deuil alors que j’en traversais moi-même un. Quand cela m’arrivera, je me mettrai en pause le temps qu’il faut. C’est d’ailleurs ce que toutes les associations d’accompagnement du deuil demandent à leurs bénévoles. Avoir un cadre de travail, c’est se protéger pour protéger l’accompagné.e. Être conscient de ses limites est une force lorsque l’on accompagne, et une question de d’éthique.
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Guylène Chevalier
J’ai été confrontée au deuil de ma sœur à l’âge de 3 ans
Quand j’ai voulu devenir coach, c’était dans le but d’aider les gens dans tous les domaines où ils rencontraient des blocages. On m’a conseillé de trouver quelque chose qui avait vraiment du sens pour moi. Quelque chose que je maîtrisais. J’ai d’abord pensé à exercer dans l’administratif mais ensuite, c’est venu comme une grosse claque : le deuil !
C’était également une façon d’aider ma mère. Elle a perdu sa fille de 9 ans quand j’en avais moi-même 3. Elle ne s’est jamais remise de cette perte. La phase d’acceptation du processus de deuil n’a jamais eu lieu. Aujourd’hui, elle vit dans un monde de colère, de reproche et de tristesse. Cette morosité ne la quitte pas depuis plus de 43 ans. Elle ne veut aucune aide car, pour elle, personne ne pourra lui rendre sa fille. Elle ne connaît plus la vie sans ce vide alors elle a peur de ce qui pourrait se passer.
L’accompagnement, c’est un enchantement
Je ne sais pas l’expliquer, mais accompagner des personnes pour qu’elles puissent retrouver du plaisir dans la vie, c’est un enchantement ! On pourrait s’imaginer que les histoires qu’on me raconte me fasse du mal. Que je puisse mal vivre l' »après » séance. En réalité, je me protège grâce à une multitude de portes. Aucune de ces porte ne restent ouvertes entre chaque séance. Je les ouvre avant le début et les ferme juste après. L’histoire qu’on me raconte ne m’appartient pas. J’ai ma propre histoire de deuils sur laquelle je suis arrivée à la plus belle fin, celle de l’acceptation. Ces portes, ainsi que l’acceptation de mes propres histoires sont ma plus belle « défense”.
Cette blessure ne fait partie que d’un chapitre du fabuleux livre de vie
Je fais entendre à mes patients que la vie continue d’une autre manière, tout comme le bonheur. Cette blessure ne fait partie que d’un chapitre du fabuleux livre de vie. Il en reste encore tellement d’autres à écrire. Je leur montre l’autre face de cette pièce qui n’est pas faite que de peine. Je leur dit qu’ensemble, on va plus loin et qu’être accompagné est certainement le plus merveilleux pas en avant qu’ils puissent s’offrir. La vie est un cadeau.
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